jeudi 6 octobre 2011

Voyage en "Amérique"



Ce dernier 6 juin à 13h45, Marlène et moi pénétrions dans Manhatan en sortant du « Lincoln tunnel » qui relie le New Jersey à la ville de New York.
Pour Marlène, qui depuis toute petite rêvait de New York, ce fut un accomplissement tel, que durant notre semaine de séjour, son enthousiasme n'a jamais faibli. De mon côté, si j'avais eu à 5 ou 6 reprises l'occasion de séjourner à New York, mais cela faisait pratiquement 25 ans que je n'y avais pas mis les pieds.
Marlène, enfant, a été la seule de sa famille a être heureuse de quitter, à l'âge de 13 ans, son petit village, Puerto (une centaine d'habitants) pour Bruxelles, son Amérique d'alors. Et son goût pour la
vie urbaine n'a jamais faibli, je lui ai de tout temps promis de refaire ensemble les voyages que j'avais fait durant mes années de travail dans la coopération et les relations internationales.
Découvrir la ville de New York, ses tours immenses, visiter des brasseries et restaurants et y découvrir ce qui se fait de mieux et de nouveau en matière de décoration et d’aménagement intérieur, visiter les incontournables Moma et Gugheneims, Ground Zero, grimper au 82 ième étage de l'Empire state building, parcourir les rues du Brooklyn de Paul Auster et se perdre dans son Park Slope, flaner dans les rues de Chelsea ou de Harlem, autant d'ambitions dans notre programme, que nous avons pu toutes réaliser.

Je vous raconterai tout cela dans mes news à venir évidement, je vous raconterai la gentillesse (et oui) des américains, le cosmopolitisme de la population et donc de la culture et de la cuisine, je vous
parlerai du « street food » (cuisine de rue)au succès grandissant et qui crée cette fabuleuse animation du midi, dans les rues, les parcs et sur les esplanades qui bordent les immenses tours de bureaux de Manhattan, je vous raconterai tout cela, mais je dois commencer par vous raconter
l'énorme émotion que nous avons vécue en visitant ...Ellis Island...

Ellis island est, comme son nom l'indique, une petite île que l'on atteint par ferries en 20 min et qui se trouve à peine à 1 mile (1 km 600) de la statue de la liberté. Entre 1880 et 1945, tout migrant
arrivant aux Etats Unis, devait d'abord débarqué à Ellis Island où  se décidait son acceptation ou non sur le territoire des Etats Unis.
Douze millions de migrants passèrent par Ellis island soit une moyenne de 5000 arrivants par jour; la journée record fut celle du 17 avril 1907 avec l'arrivée de 11747 personnes, c'est dire l'énorme
organisation que demandait cet accueil ou…ce tri. Deux millions et demi de candidats à l'immigration furent également refoulés soit pour raisons médicales (Il fallait être fort et apte sur le marché du travail et de la conquête du FarWest ) soit pour des raisons légales et juridiques.
Aujourd'hui, Ellis island est devenu un musée de l'immigration aux Etats Unis couvrant la période de 1885 à 1925. Fabuleux musée dont je veux  vous parler. Le musée, outre son parcours muséal
fait de photos d'époque, de panneaux didactique, d'objets et de reproductions de décors, dispose d'une banque de données reprenant le registre de toutes les entrées entre 1880 et 1945 et offre la
possibilité aux visiteurs de faire des recherches sur d'éventuels parents ayant immigré aux Etats Unis.

Ma mère (Ferrina Patella, voir newsletter de novembre 2010) nous avait dit à diverses occasions que son père, mon grand père maternel donc, avait été durant une dizaine d'années en « Amérique »,sans être plus précise ni sur les dates, ni sur ce qu'elle entendait par « Amérique » . Quand j'avais appris, avant de partir à New York, que l'on pouvait consulter ce site, j'avais dit à Marlène que je le ferais mais sans grande illusion, car un frère et une sœur à ma mère, avaient émigrés dans les années cinquante à Vancouver, au Canada (ils y vivent toujours et j'ai gardé le contact avec eux) et que j'imaginais que s'ils avaient choisi le Canada ce ne devait sans doute
pas être sans lien avec l'émigration de mon grand père. L’Amérique, dans la bouche de ma mère devait sans doute signifier le Canada.

Dans l’immense hall d'accueil de Ellis island, outre le début de l'exposition (avec un fabuleux amas de valises, de malles en fer ou en osier, de baluchons de toutes espèces..), vous avez de suite, si vous le voulez,  accès à 4 ordinateurs qui vous permettent simplement de vérifier si des membres de votre famille sont repris dans la banque dedonnées.
Nous avons donc introduit le nom de mon grand père: Patella et son prénom: Salvatore. Réponse négative, « aucune personne portant ce nom, ne s'est jamais présentée à Ellis island. » Me voilà confirmé dans mon intuition mais, par précaution, je suggère quand même que nous introduisions Salvatore Patella plutôt que Patella Salvatore, notre ignorance quasi-totale de l’anglais me donnant quelques doutes sur le sens  de first name et second name; Bingo, oui, il y a bien deux Salvatore Patella qui se sont présentés à Ellis island, les deux venants de l'Italie, l'un en 1909, l'autre en 1921, « vous pouvez donc, si vous désirez plus d'informations, vous présenter dans la salle d'accueil des familles qui se trouve au sous sol ». L'émotion est déjà très  forte pour moi, mon grand père est passé par là, son Amérique était bien les Etats Unis. J’ai des bouffées de chaleur, un léger tremblement des mains, mais heureusement Marlène prend les choses en mains. L'accueil dans cette salle pour famille est vraiment chaleureux et convivial, d'autant plus que nous tombons sur du personnel hispanophone dont une jeune femme, nostalgique de son Espagne d'origine qu'elle n'a jamais visité. Ses aïeux sont originaires de Puebla et elle apprend pour la première fois, par
Marlène, que Puebla est un village d'Andalousie.
Elle même vérifie la présence de Salvatore Patella dans la banque de données et me remet alors une carte à mon nom, qui va nous permettre d'aller sur l'ordinateur numéro huit de cette salle et grâce au code repris sur la carte, de faire des recherches plus approfondies; Une autre jeune femme, d'origine mexicaine,  va nous accompagner et nous aidera dans nos recherches.
Ma nervosité est montée d’un cran et je laisse la jeune femme s'installer au clavier et utiliser ma carte.
Nous retrouvons bien les deux Salvatore Patella du début et la jeune femme me demande lequel des deux est mon grand père, celui arrivé en 1909 ou celui arrivé en 1921? Je n'en sais fichtre rien? « N'est-il pas imaginable qu'il soit venus deux fois? » « C'est possible dit-elle, mais il faudra payer deux fois si je veux imprimer les protocoles des deux personnes. La première chose qui apparaît sur l'écran du Salvatore Patella de 1909 est une fiche indiquant qu'il s'agit d'un homme, marié mais
voyageant seul, en provenance de Tossicia (c'est bien notre village d'Abruzzo »), qu'il a embarqué à Naples « Que s'est-il passé pour lui ensuite? » Pour le savoir, la jeune femme fait apparaître sur l'écran le registre manuscrit, qui a donc été entièrement scanné et informatisé, Salvatore Patella  apparaît sur le haut d'une page du registre, son nom et prénom manuscrit est bien lisible mais toute la ligne qui le concerne est barrée d'un trait. La jeune fille nous explique que cela signifie qu'il a été refusé, renvoyé en Italie et ...rayé d'un trait de crayon!! Je ne dis rien mais mon coeur en prend un coup, dans mon for intérieur, je traite les américains de tous les noms, refuser mon grand père!! Et lui, comment a t'il pu se faire refouler? Moi qui déteste maladivement l'échec, je n'ose imaginer
l'humiliation qu’il a du subir en rentrant quelques semaines après son départ, traverser les hameaux de Tossicia, Villa Alzano, Azzinano, et arrivé à Aquilano. Tout le monde se connait, tout le monde sait qu’il est parti. Quoi Salvatore, que fai qui ? Non sei stato in America ? Peut être s’est-il arrangé pour rentrer de nuit, ne pas être vu avant plusieurs jours mais quand même, se présenter devant Artemisa   « ils m'ont refusé »...Il avait 21 ans et j'aime à penser que durant toutes les années qui ont suivi, il a ruminé sa revanche, s’entêtant « je retournerai en Amérique »
« Est-ce qu'on peut connaître la raison du refus? » Un click: « maladie, votre grand père est arrivé malade et n'a pu être accepté » J'ai passé deux fois deux mois chez mon grand père en Italie du temps de son vivant, j'ai de fait le souvenir d'un homme petit et frêle, pas très costaud. J'ai hérité de lui, une fabuleuse veste en velours dont ma grand mère disait qu'il l'avait achetée en Amérique, je pouvais la mettre quand j'avais 18 ans mais elle était déjà trop étroite pour moi.

Bon, voyons le Salvatore Patella de 1921, une nouvelle fiche nous apparaît, légèrement plus complète que la première. Elle nous apprend qu'il est arrivé le 18 août 1921, qu'il a maintenant  36 ans, est marié. Il est seul mais  cette fois le nom de ma grand mère apparaît: Artemisia!  Les larmes me montent aux yeux, ma grand mère Artemisia, celle qui a vécu une année avec nous, qui m'accompagnait quand je partais tôt le matin servir la messe, qui s’était perdue un jour et que nous avions, avec l’aide des voisins, retrouvée à six kilomètres de la maison, qui porte ce prénom vieillot mais tellement merveilleux  que j'aurais voulu donner à ma fille, si j'en avais  eu une. Autre précision sur la fiche, Tossicia se trouve dans la province de Teramo en Italie,  Salvatore est parti de Naples et a voyagé sur « Le Président Wilson, bateau au long court ». Miracle de la technologie moderne, la jeune femme d'origine mexicaine fait apparaître à l'écran la photo du bateau. La fiche nous disait
également que Salvatore Patella avait une connaissance aux Etats Unis du nom de   Domenico Esposito qui vivait à Pensylvania dans l'état de Pensylvanie et que c'est là qu'il comptait s'installer. C'est donc là que mes recherches se poursuivront lors d'un prochain voyage. Je soupçonne qu'Exposito est un des espagnols qui vivait à Tossicia au lieu dit « i spagnoli »; J'imagine que lisant cela vous devez me voir comme un vieil italien aussi sentimental qu'ignorant, mais avouez quand même: Aller à New York en 2011, tomber sur les traces de Salvatore Patella, Artemisia,
Tossicia et Teramo!!! J’en reviens pas encore, heureusement, Marlène était là et quel bonheur d'avoir vécu ces émotions ensemble.
Mais qu’est notre voyage à côté du sien ? Nous apprendrons en parcourant le musée que la traversée durait quatre à cinq semaines. Des semaines de promiscuité, d’entassement, où il faut faire à manger,  supporter les cris des gosses, les malades, les morts parfois.Rien que rejoindre Naples à partir de Tossicia, suppose de traverser les montagnes, sur des chemins caillouteux que j’ai encore connus, se loger à Naples dans un maison pour migrants dont nous voyons aussi la photo dans le musée. Photo montrant les dizaines de personnes arrivant et s’entassant dans la cour de cette maison, y faisant bouillir la marmite. Fallait-il la vouloir cette Amérique ?

Vous imaginez bien que notre visite du musée de l'immigration s'est faite avec un œil tout à fait particulier et qu'à plus d'une reprise, il nous a été impossible de contenir nos émotions, surtout quand la voix de l'audio-guide nous dit  » Ellis island était appelée par les migrants « l'île de l'espoir » mais aussi « l'île des larmes » pour ceux qui étaient refusés. Ou quand cette même voix nous expliquaient que des médecins passaient dans la foule et discrètement faisant le diagnostic au facies, laissaient des signes à la craie sur le dos des migrants : A pour bonne sante, B pour malade à contrôler.

Je devais avoir six ou sept ans, quand un jour,  rentrant de l'école, j'ai retrouvé pour la première fois, ma mère pleurant. Cela m'avait terriblement frappé et j'avais été stupidement étonné de voir qu'elle pleurait comme une petite fille. Ainsi les parents pouvaient pleurer?? Elle tenait une lettre en main et quand nous avons demandé mon frère aîné et moi,  pourquoi elle pleurait,  « mon papa est mort » nous a t'elle dit en sanglotant. Je savais que j'avais un grand père mais je ne savais pas ou n'avais pas encore réalisé que ma mère avait un « papa »!! De plus, j'étais confronté à la mort pour la première fois et j'eus du mal d'imaginer le côté si définitif de ce mot. Trop de choses à la fois, maman qui pleure, maman qui a un papa, la mort... j’étais désemparé
Ma mère pleura durant plusieurs jours, mon frère aîné disait « faut pas pleurer maman»!! Moi je pensais mais ne le disait pas « si maman, tu as le droit, c’était ton papa,  pleures maman, pleures ».
Je crois qu’à dater de ce jour, j’ai considérer l’émigration comme une souffrance et une injustice. Cette immigration qui avait empêché ma mère d’être près de son père quand il est mort.

Son père, Salvatore Patella, allait avoir 78 ans quand il est mort, il était mon grand père, il avait traversé deux fois l'atlantique pour gagner l'Amérique. La deuxième fois avait été la bonne.


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