mercredi 5 octobre 2011

Ma ballade à vélo


J’ai commencé à faire du vélo en mars - rappelez-vous, nous avons eu du très beau temps en mars, avril, mai et juin – et j’en fais maintenant régulièrement, parfois tous les jours et si pas, au moins trois ou quatre fois par semaine. Je fais le plus souvent le même circuit de 26 km (j’ai acheté un petit compteur kilométrique) mais parfois, je fais plus : 35 km ou bien,  je vais à Maastricht ou à Comblain au Pont, soit une septantaine de kilomètre. C’est de mon circuit de 26 km dont je veux vous parler. J’ai acheté un vélo d’occasion, simple vélo de route de la marque Peugeot. J’ai juste changé le guidon pour en mettre un « en huit » qui permet de choisir entre deux positions : la sportive avec les mains sur la partie basse ou la ballade avec les mains sur la partie haute, comme sur un vélo hollandais et qui permet de se reposer.
Je ne prétends pas être fort, je crois même que je ne le suis pas, c’est pour cela que je préfère rouler seul, cela me permet de rouler à mon rythme. Mais je me suis fixé comme principe de ne  jamais faire moins que ce que j’ai décidé en partant, mais par contre je peux faire plus. Une autre exigence que je me suis fixée est de ne jamais mettre pied à terre sauf contrainte absolue : une voiture qui ne me cède pas le passage ou comme cela m’est arrivé dimanche, une quinte de toux qui m’a forcé à m’arrêter. J’avais, je crois, aspirer des mouchettes. A ce propos, il faut faire attention à rouler la bouche fermée, surtout à certains endroits : près d’une ferme devant laquelle se trouve un tas de fumier, près d’une prairie sur laquelle paissent des moutons, des poules, des canards et des oies, prairie qui devient un objectif de promenade pour les enfants qui amènent avec eux déchets de pains et de pomme de terre. Mais il y a des jours où il y a plus d’insectes qu’à d’autres, ainsi par le beau temps de la semaine dernière.
Je roule en regardant tout ce qui se passe autour de moi, en essayant de mémoriser un maximum et ainsi, à chacune de mes sorties, je vois des changements. Ainsi dimanche, j’ai vu de suite qu’on avait récolté le champ de maïs de la rue de l’Arbre Sainte Barbe, mais je vois aussi que telle maison où vivait un couple et un enfant est aujourd’hui à vendre, que le monsieur qui a commencé à carreler de chutes de pierres bleues son chemin carrossable a presque fini, que tel chantier de construction a bien avancé, etc.
Il y a quatre ou cinq personnes que je vois très souvent et à qui je dis bonjour : à Jeannot mon voisin d’en face qui bricole toujours quelque chose dans son petit jardinet à rue, à une dame qui semble fort malade et qui est très souvent assise sur une chaise devant chez elle. Je m’inquiète d’ailleurs quand je ne la vois pas. A un vieux monsieur qui est toujours assis dans son garage au fond de sa petite propriété sur le côté de sa maison et qui semble regarder passer les voitures toute la journée, un autre monsieur qui tond sa pelouse deux ou trois fois par semaine et qui pourtant semble avoir beaucoup de mal à le faire à cause de son embonpoint et enfin le monsieur qui carrelle son passage. Il y a des personnes que je vois pour la première fois et que je ne revois plus, peut être les reverrais-je un jour. Il y a une dame qui faisait des allers retours sur le Ravel, que j’ai vue trois ou quatre fois et puis qui a disparu. De la circulation, c’est le cas de le dire.
Je roule sur du macadam ou du béton. Parfois c’est bien lisse mais parfois c’est cabossé. Au début, je faisais cinq km, puis sept, puis quinze et ainsi, de plus en plus. Je ne roulais que tous les deux ou trois jours car la selle me faisait mal. Aujourd’hui, je n’ai plus de problème ni d’endurance, ni de selle sauf sur certains tronçons  hyper cabossés.
Je quitte ma rue en entrant dans le clos Hesbignon, qui est un nouveau lotissement. On y a construit 56 maisons-villas, classiques mais pas mal et la plupart sont grandes, spacieuses, ont des tas de fenêtres et je crois qu’il fait bon y être. Elles sont habitées par une majorité de familles d’origine immigrées, italiennes, turques, marocaines, avec deux, trois, quatre enfants qui déjà ont fait connaissance entre eux, passent d’un jardin à l’autre et jouent ensemble sur la rue ou assis sur les bancs nombreux à cet endroit. Les livings sont très grands, les cuisines sont bien équipées et il semble y avoir pas mal de chambres. J’ai vu tout cela ces derniers temps car le soleil permet d’ouvrir grand, portes et fenêtres. Ce doit être des ouvriers spécialisés qui y habitent ou travaillant dans des secteurs durs et en manque de main d’œuvre où l’on gagne bien sa vie : bâtiments, ramassage des immondices… Je dis cela mais c’est moi qui m’imagine. Au facies. La plupart sont propriétaires. Bon quoi qu’il en soit,  je suis bien content pour eux.
Je quitte le clos pour prendre la rue de l’Arbre Sainte Barbe en direction de Liers. La rue de l’Arbre Sainte Barbe est située sur la ligne de crête qui sépare la vallée de la Meuse de la vallée du Geer. C’est dans cette zone qu’a eu lieu dans le début du 18 ième la bataille décisive qui opposait les troupes françaises aux troupes autrichiennes qui ont perdu. Il y avait là à une époque une chapelle dédiée à Sainte Barbe, patron des mineurs et des tailleurs de pierre, entre autres.
Aujourd’hui il y reste un tout petit sanctuaire en bois, fort vétuste, dédié à « Notre Dame des pauvres », il y a un peu plus loin un calvaire très sombre avec le Christ en croix. Les deux semblent entretenus mais les fleurs qui les garnissent sont en plastiques et les mêmes depuis que j’y passe. C’est entre ces deux petites chapelles qu’est assise la dame qui semble bien malade et qui paraît contente que je la salue chaque jour. Elle me regarde arriver de loin et elle me suit du regard après mon passage. Son petit chien me court après quand je repasse car là je suis en côte et il peut me suivre en aboyant pendant cinq mètres. A l’aller, il aboi mais n’essaye pas de me suivre. Plus loin, à Voroux, se croisent la rue du cimetière et la rue de la Renaissance. Les plaques les indiquant sont placées côte à côte et j’en ai fait une photo. Le numéro 1 de la rue de la Renaissance est un petit château dont j’aime voir l’entrée quand le portail est ouvert. Il y a une grande fontaine au milieu de la cour et cela me fait toujours penser à un roman de Montalban dont j’ai oublié le titre et qui se passe dans une propriété près de Barcelone, dont la description correspond à ce petit château. La rue de la Renaissance est prolongée par la vieille voie de Tongres (qui commence en fait à Sainte Walburge, est suspendue sur Rocourt et ne reprend qu’à Liers. Si je ne me trompe). La vieille voie de Tongres dit bien ce qu’elle veut dire, elle me conduit sur le Ravel 31 et au-delà du Ravel, elle continue mais  est faite de terre battue et de gravier.
Je prends le Ravel vers la droite, il s’interrompt après cinq cent mètres, je vais par la route vers la gare de Liers et je traverse la voie ferrée par en-dessous. Il faut bien préparer le petit braquet car on monte et descend et remonte des pentes courtes mais abruptes. Si vous n’avez pas mis le petit braquet, il vous faut quelques minutes pour retrouver votre souffle. Il se passe plein de choses sur ce Ravel qui va en fait de Liers à Ans. Il fait presque Six km mais il nous faut traverser six routes à circulation automobile dont la chaussée de Tongres. Ce dernier dimanche, il y avait un monde fou. Un groupe composé de deux hommes, deux femmes et trois enfants.  Je les ai croisés à l’aller et au retour. Au retour, les hommes et les enfants étaient à l’arrêt et attendaient les deux femmes qui peinaient à 150m. Un homme m’a dit « les femmes ont du mal quand ça grimpe ». En passant à hauteur des femmes, je leur ai dit que là bas on se moquait d’elles. OOOOH ! Ai-je entendu. Je les ai nommés, en moi-même, les Barakis. Pour moi Barakis n’est pas un terme péjoratif, je les nomme Barakis pour les distinguer des gens normaux, et j’appelle normal ce qui en fait est banal et j’aime ce qui n’est pas banal.  Depuis que j’ai lu « La Merditude des choses », de Thierry Verhulst, à haute voix pour Paco quelques semaines avant sa mort, je respecte encore plus les barakis. Paco avait fort apprécié cette lecture. La dernière à laquelle il a eu droit. Il a vécu dix ans dans les marolles et les personnages du livre lui rappelaient certains marolliens.
Il y avait aussi des tas de couples avec ou sans enfants, des piétons et des cyclistes. Je croise beaucoup de cyclistes qui portent casques, lunettes,  collants spéciaux et vareuses de cyclistes. Ces vareuses sont toujours très colorées, certaines aux couleurs du drapeau belge, d’autres aux couleurs du drapeau italien, d’autres avec des couleurs qui n’ont rien à voir avec des drapeaux.  Ils ont tous l’allure de coureurs professionnels. Malgré tout, on se salue alors que moi, je suis souvent habillé d’un short usé qui a plus de vingt ans, dont la couleur a été jaune et de polos sans allures.
Le Ravel est aussi un lieu de vie. Ainsi, hier lundi, j’ai vu une femme, quarante ans ? A pieds, à l’arrêt, appuyée à la clôture et parlant au téléphone. J’ai entendu une bribe en passant…on ne se verra pas avant samedi… Quand je suis repassé après quarante minutes elle s’était un peu déplacée mais toujours au téléphone…je crois qu’il se doute… Je me suis construit toute une histoire sur cette femme, l’imaginant annoncé à son mari « je pars faire ma promenade », et pouvoir ainsi téléphoner à son amant. Ce sont des périodes de vie qui sont à la fois triste et à la fois exaltante. La tristesse d’une séparation, d’une histoire qui finit, l’exaltation d’un amour naissant, de « l’inamoramento » disait Alberoni
Je vais alors jusque Fexhe Slins, dont je fais le tour. Pour y arriver, je prends un Ravel qui s’interrompt aussi deux fois pour permettre aux voitures de rejoindre les maisons qui le bordent. C’est là que le monsieur carrelle son passage et que l’autre monsieur tond sa pelouse en ahanant comme un bleu, blanc, belge. On entre dans le village par la rue Labye. Je  ne sais pas à quoi cela fait référence, à une personnalité sans doute, mais si on mettait un I à la place du A, cela ferait Lybie. Et ainsi quand j’y passe, je pense souvent aux révolutions arabes, puis dans la rue Toussaint où je salue Luc en pensée et puis dans la rue « Fosse Botton », du moins le croyais-je au début. Et bien sûr, je m’étais imaginé qu’il y avait là, un jour, une mine (la fosse) appelée Botton. Mais à l’autre bout de la rue, la plaque est intacte et je me suis aperçu bien longtemps après qu’il s’agissait de « Fossé Botton » et là non plus je ne sais pas à quoi cela fait référence. Dans la rue Fossé Botton, il y a une »La Farnientane, maison de repos ». De fait, on pourrait dire que Farnientane est la maison du farniente, manière de consoler les vieux qui y sont placés.
C’est là que je fais demi-tour et refait les deux Ravels jusque la gare d’Ans, ensuite je reviens jusque Liers et ensuite trois km jusque la maison. Souvent, à l’aller j’ai le vent de face et au retour le vent dans le dos. J’adore cette heure trente sur mon vélo, je ne me vide pas le cerveau, au contraire, je pense, je réfléchis, je me construis des histoires sur les choses que je vois, sur les gens que je rencontre. Un voyage intérieur parmi tout un monde qui vit, qui rit, qui pleure, qui meurt…

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