lundi 23 février 2015

Paco, Luis, moi et les couteaux de mer

Nous étions à Vigo, plus grande ville de Galice, premier port de pêche européen, pour le mariage de Bégonia, la fille de Luis et Montse (sœur de Marlène), première née des petits enfants Alvarez-Saavedra, adorée de tous. Appelée aussi Begonita car précédée d’une autre Bégonia, autre sœur de Marlène. Le mariage n’aurait lieu qu’à 18 h ce 18 août 2007, nous avions donc la journée devant nous. Begonita avait invité les femmes à bruncher et celles-ci avaient ensuite prévu essayages, dernières retouches aux robes et surtout maquillage et coiffeur. Nous étions donc libres et personne ne nous attendrait. Luis nous proposa de descendre au port manger des huîtres. C’est une coutume acquise une fois pour toutes quand nous rendons visite à Luis et Montse d’aller au port manger des huîtres en apéritif. « Vamos a comer ostras » disait Luis, « allons manger des huîtres ». Les femmes de pêcheurs les ouvraient sur des tables en pierre et en vendaient par plateau de 12, que chacun pouvait aller déguster sur les terrasses ou dans les salles des bars et bistrots qui bordaient cette ruelle. Ce jour-là nous en avons pris deux plateaux et demandé à la dame en lui désignant le bar où nous allions, de nous en apporter deux autres un peu plus tard. Nous nous sommes attablés au milieu de la salle, et avons commencé notre dégustation d’huîtres accompagnés d’un Albarino, ce merveilleux vin blanc de Galice. Deux serveuses d’âge mûr étaient aux petits soins avec nous et nous ravitaillaient en huîtres, en vin et ensuite en « navajas », nom donné aux couteaux de mer en Espagne. Ils étaient (à peine) cuits au vin blanc, garnis de persil et d’ail. Les deux tenancières avaient vite compris que ces trois gaillards dans la cinquantaine, qui se racontaient leur vie à grand renfort de cris, de tapes dans le dos, de rire et de gestes d’amitié presque tendre, aimaient les bonnes choses et avaient l’appétit aiguisé par le plaisir de leurs retrouvailles.
Les huîtres, les trois assiettes de navajas et les quatre bouteilles d’Albarino terminés, nous décidâmes qu’il était temps d’aller  déjeuner. (En Espagne, le repas de midi commence à 14h, 14h30.) Luis, boucher de profession, connaissait non pas « un des meilleurs » restaurants à viande de Vigo, mais LE meilleur où, assurait-il, je trouverais la « palettilla de cordero » de mes rêves. Littéralement palette d’agneau. C’est l’épaule de l’agneau qu’on tue à 4 ou 5 mois au plus. La palettilla doit être cuite longuement pour être servie confite avec un gros oignon aussi confit  et des pommes de terre rissolées dans la graisse d’agneau. On sert une épaule par personne. C’est un plat succulent. Nous avions notre œnologue patenté en la personne de Paco qui nous choisit deux, non, trois rouges d’exception de la Ribera del Duero. Du grand vin mais jamais trop cher dans les restaurants en Espagne.
Dix-sept heures approchaient et nous avions passé 7 heures ensemble à boire et à manger, à rire et à parler. Nous n’avions pas oublié que nous étions là pour Begonita et son futur mari Sergio et qu’il fallait faire honneur à son mariage et à ses invités. De leur côté les femmes n’avaient pas perdu leur temps non plus. On leur avait offert un brunch gargantuesque dans une taverne de la vieille ville que seuls connaissent les vigués (habitants de Vigo). Nous les avons retrouvées transformées, maquillées, colorées, frisées. Selon leurs propres dires, elles avaient, après leur repas, passer des heures à parler « comme des africaines dans un salon de coiffure » et elles nous dirent qu’elles en avaient été heureuses car cela faisait bien des années qu’entre sœurs elles ne s’étaient plus retrouvées libres de toutes contraintes matrimoniales ou autres.
Nous ne racontâmes que la moitié de nos agapes pour ne pas effrayer les dames. Cela ne nous a nullement empêchés de profiter un maximum des buffets extraordinaires dressés en plein air sous des voiles blancs dans une prairie sauvage de la périphérie de la ville. Cette fête du mariage de Begonita fut littéralement féérique.
De quoi avions-nous parlé à nous trois ce jour du mois d’août 2007? Sans doute de ces mêmes histoires dont nous étions insatiables. Paco nous racontait ses aventures dans la marine marchande, les heures passées assis sur une planche pendue au bout de deux cordes,  à repeindre les flancs du navire en pleine mer et en plein soleil, ou de ses nuits de folie parfois borderline dans les ruelles du port de Vancouver. Luis évoquait, l’air de rien, ses aventures bruxelloises, les petits trafics en tout genre auxquels il assistait autour de l’abattoir d’Anderlecht dont il fréquentait assidûment les bars, et moi j’avais pris plaisir à leur parler de mes voyages et mes combats plus ou moins réussis ou plus ou moins ratés auxquels j’avais eu la chance de participer dans différents coins du monde ou avec les sans papier en Belgique.
Cette journée valait une vie.
Ce fut presque la dernière fois que nous vécûmes si intensément notre complicité, même si nous eûmes encore quelques bons moments quelques années plus tard en Asturies et lors de notre dernier voyage à trois  à Cordoba, avec un Paco terriblement affaibli mais néanmoins terriblement présent.
Vous le savez, Paco est mort il y a bientôt quatre ans  et il me manque encore et sans doute en sera-t-il ainsi pour toujours. Luis ne peut plus travailler, il souffre horriblement du dos. Mais je sais que de temps en temps, quand les journées sont belles,  il descend encore dans les ruelles du port de Vigo le matin vers les 11 heures pour se faire ouvrir des huîtres par ces dames si accueillantes derrière leur table de pierre. Qu’il se fait ensuite servir des navajas qu’il déguste avec un Albarino bien frais. Et je crois bien que même seul, en silence, il lève son verre à Paco, à notre amitié, en pensant à ces moments magiques  que nous avons vécus.
….Ah, oui, j’allais oublier, nous aurons des couteaux de mer à Como en Casa ce prochain WE. C’est en les commandants chez le poissonnier que m’est revenue en mémoire cette journée au port de Vigo. Marlène va vous les dégorger de leur sable et les cuire au vin blanc, à l’ail et au persil comme le font les merveilleuses femmes de pêcheurs galiciens
P.S : vous savez que vous pouvez retrouver les billets que vous auriez ratés sur mon blog : mario gotto.blogspot.com/ et de vous pouvez m’écrire à mario.gotto@gmail.com

mercredi 18 février 2015

foie de veau à la vénitienne

Voilà, la (très) bonne nouvelle vient d'arriver: nous aurons du foie de veau ce vendredi et samedi soir. C'est terrible ce qu'il est difficile d'obtenir du foie de veau BIO. Mais il en est de même chez le veau que chez l'homme: ils n'ont qu'un seul foie (et beaucoup en ce moment perdent la foi, mais cela c'est une autre histoire). Voici comment nous allons procéder: 1 Marlène va nettoyer méticuleusement le foie, comme si c'était pour elle, elle va le peler, lui enlever toutes les nervures, les yeux etc et le couper en morceaux. 2 Au moment de la commande, elle va faire revenir les oignons coupé fins, les caraméliser légèrement, y mettre le foie coupé en dés et cuire le tout. avec délicatesse et rosé sauf contre indication de votre part. 3 Parallèlement, elle va frire dans l'huile des frites de polenta et passer dans la même poêle que le foie des allumettes de pommes fruits. Votre assiette sera bien belle et je crois bien que c'est le meilleur foie qu'on sert à Liège. Vous, tout ce que vous avez à faire c'est réserver, si possible pour vendredi ou alors pour samedi mais il ne reste que quelques places samedi. Allei, à très vite et déjà bon appétit

lundi 16 février 2015

Derrière les larmes

Bon ben s'il y a une chose que mon dernier billet a révélé, c'est que nous sommes nombreux à pleurer pour un oui pour un non. Je crois que je n'ai jamais reçu autant de mail qui commençaient de la même façon: "moi aussi je pleure souvent.." Jean Pierre Collignon dit que cela nous rend plus beaux, Luc Toussaint dont je savais qu'il avait la larme facile en ayant été deux ou trois fois au cinéma avec lui, doit même s'arrêter de conduire quand il entend une mauvaise nouvelle à la radio et que les larmes lui brouillent la vue.
Pleurer n'est pas nécessairement être triste. La joie ou l'émotion me font plus souvent pleurer que la tristesse. J'adore la vie et je ne crois pas être de compagnie triste. 
Bon mais pourquoi pleure t'on plus facilement en vieillissant? Ce serait bien qu'un-e spécialiste nous éclaire à ce sujet. Je crois qu'en partie, c'est le temps qui passe qui fait pleurer et tout ce qui nous rappelle que ce temps passe: une vieille chanson, la mort d'un artiste qui nous accompagné toute la vie, la mort de proche bien sûr. Tout ce qui est passé et qui ne reviendra plus. Tous ces moments où on aurait pu aimer plus et mieux et où on ne l'a pas fait.
Dans le fonds, ce sont les "passantes" qui nous font pleurer, pas seulement les filles "qu'on a entrevues", mais aussi toutes les choses, les moments, les amis qu'on a entrevus et qu'on a raté. Ou les bons moments qu'on a vécus et qu'on voudrait revivre désespérément.  Marlène disait récemment "il nous reste (peut être)une quinzaine d'années à vivre, du moins à vivre bien et en bonne santé alors profitons-en". L'horizon commence tout doucement à apparaître et sans que nous nous en rendions compte, cela conditionne sans doute nos sentiments. 
Bon mais assez parler des pleurs, il n'y a pas que les larmes dans la vie, il y a la vie, les bonnes choses et l'amour. Et en parlant d'amour, nous avons vécus des moments exceptionnels ce dernier vendredi et samedi avec tous ces amoureux qui se tenaient la main par-dessus la table et qui nous ont fait confiance, ont choisi Como en casa pour passer une soirée à deux, les yeux dans les yeux. Cela nous touche cette confiance et les remerciements de fin de soirée. Quelle belle clientèle nous avons, quelle tolérance, quel respect des autres. Nous sommes fiers de vous. Merci, merci.
Nous espérons, essayons d'avoir du foie de veau pour ce WE, c'est pas sûr mais ayons foi dans notre fournisseur. Je vous dirai quoi.
Allei, une bonne semaine. Pour rappel, inutile de tenter de répondre, le CEC ne prend pas les messages, mais si vous souhaitez m'écrire, c'est:mario.gotto@gmail.com

mercredi 11 février 2015

"Je pleure comme un veau"

J'ai peur. J'ai peur de ne plus pouvoir lire de livres, de romans, de nouvelles. j'ai peur de ne plus pouvoir chanter les chansons que j'aime. J'ai peur de ne plus pouvoir regarder de films trop émouvants, trop forts, trop vivants. Cela fait quelques mois que je voudrais vous entretenir à ce propos, mais j'hésitais, me croyant seul dans cette situation. Et puis deux choses sont venues me montrer que je n'étais pas seul à vivre avec les yeux mouillés. 
D'abord, en lisant les sonates d'automne de j. Zwick j'ai été frappé de voir à de nombreuses reprises, combien des lectures, des chansons, des films, des mots lui faisaient monter la larme à l'oeil. Puis, pas plus tard qu'avant hier, un souper avec mon frère Renzo et mon beauf Jean Louis: à propos d'un film, j'entends les deux se dire "j'ai pas arrêté de pleurer". Quoi, vous pleurez?? Oui, réponds Jean Louis et plus je vieillis et plus je pleure facilement! Ouf, libération! je ne suis pas le seul à avoir la larme facile. C'e n'est pas du à mes origines italiennes ( comme me le disait une cliente quand je lui avais dit que le film "mes belles années " m'avait fait pleurer. Oui mais, vous, vous êtes italien). Ouf, quel soulagement, les hommes sont de plus en plus émotifs et pleurent pour un oui, pour un non. C'est gênant, mais cela devient général. Bon, il est vrai que Charlie a, parmi des tas de choses positives au milieu de cette horreur, libéré les larmes des hommes (on a toujours trouvé plus normal les larmes chez les femmes, ces êtres fragiles et émotifs.). Bon, mais moi, je vous dis pas. Ma soeur Evelyne m'offre le dernier recueil de L. Sepulveda et dés la première page où il parle de sa relation à ses enfants et au Viejo (son père, dit le vieux), plus moyen d'aller plus loin, mes yeux sont noyés de larmes et les mots devienent illisibles et je suis obligé de remettre malecture à plus tard. Je rentre un soir de la semaine dernière avec une chanson de Jean Ferrat dans la tête (Que serais-je sans toi), je me mets à la fredonner et cloc, ma gorge se serre, ma voix s'étrangle et je sors des sons complètement ridicules et tremblotants sous l'émotion.  Je me dis bon arrêtons et passons à l'écoute sur Youtube; impossible d'écouter Jean Ferrat, trop profond et touchant, Youtube me renvoie à du similaire et je tombe sur Leo Ferré, encore pire, ce type y croit trop et cela me brise complètement et j'ai envie qu'il ressuscite. Je clique sur Stranger Song de Lèonard Cohen et là c'est la fontaine, telle, qu'elle inquiète Marlène qui me demande ce qui est arrivé et à qui. La connaissant, je lui passe le casque et elle a la réponse à sa question puisqu'elle se met elle-même à pleurer. L'autre jour, nous regardons, par hasard " la guerre est déclarée". Un film sur le combat de parents d'un enfant atteint d'une tumeur au cerveau. Ouf, je vous dis pas, deux fleuves de larmes inextinguibles.
Alors je me dis, c'est foutu, je ne pourrai plus jamais lire, sauf des trucs sans âmes, sans vie, sans émotion. Je ne pourrai plus jamais chanter, ni les passantes, ni les mots bleus, ni femme chocolat. Je ne pourrai plus lire, ni Sépulveda, ni Manuel Rivas, ni Almudenas grandes, ni Tabucchi. Ils me font tous pleurer d'émotion et avec l'âge, je n'arrive plus à la contenir.  Je n'irai au cinéma que pour des films tordus et à la con mais fini de regarder en boucle Le voleur de bicyclette (que je devais déjà regarder en cachette de Marlène), Le septième jour, La femme d'à côté ou encore Au milieu coule une rivière. Je suis condamné à la connerie, à l’abêtissement et je me demande ce que je vais devenir. Je vais passé ma vieillesse à me balader là où il n'y a personne à croiser qui pourrait me raconter des histoires tristes. Je m'assiérai dans mon beau bureau tout neuf, à regarder juste la couverture des livres sans y toucher, ou le fonds du jardin en espérant ne pas y voir ce couple de merle dont on voit qu'ils s'aiment, dont le mâle fait tout et est prêt à tout pour défendre la femelle qui prend un bain dans la petite fontaine du jardin. ils s'aiment, cela se voit mais cela risque de me toucher et de faire remonter en moi tant de moments si doux que j'en pleurerai. Je ne prendrais plus le téléphone pour ne pas risquer d'entendre mes petites filles me raconter leurs amis, leur chemin dans la vie,  leur moment de bonheurs simples qui me touchent tant. Il faudra que j'arrêtes de penser aux amis et amies que j'ai et que j'ai eu et qui réveillent en moi tant de nostalgies heureuses.
Mais que vais-je pouvoir faire si je ne sais plus affronter tout ce qui est si beau dans la vie?? Non, C'est pas possible, il faut que je réapprenne à  rire quand les choses sont gaies, à me réjouir quand on est bien ensemble, à partager ce qui me touche avec ceux que j'aime. Il faut que je  me dise, non, que je me mette à crier que c'est cela le bonheur, quitte à en pleurer de joie, quitte à en "pleurer comme un veau"
Surtout cette semaine c'est la Saint Valentin, il y a plein de réservations pour des tables de deux. Je sais ce que cela va donner, je vis cela toutes les semaines: des couples qui s'aiment, s'émeuvent, qui se disent je t'aime, c'est pour toujours, et qui en pleurent d'émotion. Je vais pas quitter le monde quand même. C'est décidé, je leur offrirai un verre, on se souhaitera pleins de bonnes choses et on aura les larmes aux yeux et allei, on écoutera Charlebois chanter Un homme ben ordinaire.