lundi 27 février 2017

deux, trois petites choses à vous raconter


Je vous raconte deux trois petites choses. Evidemment, nous n’avons pas tous vécu de la même manière, nous la génération chanceuse. Ainsi S. une amie, nous a raconté l’histoire de ses parents, berbères originaires des contreforts de l’Atlas marocain. Je ne citerai pas de noms puisque je n’ai pas demandé à S. si je pouvais raconter son histoire, mais comme elle reçoit mes chroniques, elle me dira et si elle est d’accord, la prochaine fois, je vous dirai son (beau) prénom. Bref, son père a quitté le Maroc colonisé jeune et s’est engagé dans l’armée française. C’était le seul moyen pour lui de découvrir le monde et d’autres paysages. Mais ce n’était pas du goût de son père (le grand père de S donc), qui à chaque retour en permission lui disait « ça suffit maintenant tu as vu ce qu’il y avait à voir et donc tu peux revenir chez nous ». Mais rien n’y faisait ce têtu s’envolait de plus belle. Jusqu’au jour où ses parents décident de le marier, espérant ainsi le ramener au bercail. Le père de S rentre au pays une semaine avant le mariage, tout est prêt, les cadeaux, les dots, les moutons à égorger pour la fête, les gâteaux au miel et les victuailles en tout genre. Mais deux jours avant le mariage, patatras la promise meurt sans crier gare. Mon Dieu, tristesse et catastrophe. Les premiers moments d’émotion passés, malgré le deuil, la famille se demande que faire, ce mariage qui est prêt, ces invités qui vont venir de partout !!! C’est l’oncle de S. qui va avoir la bonne idée : « tu te souviens de la sœur de A. qui a épousé M. elle a grandi et mûri maintenant, elle est belle comme le soleil qui se lève derrière la montagne, pourquoi ne pas la demander en mariage sachant que tout est prêt ? » Aussitôt dit aussitôt fait, la demande est acceptée par la famille de celle qui deviendra ainsi la mère de S. mais aussi de ses sept sœurs. Ils s’aimèrent de suite mais la fille avait un sacré caractère et savait ce qu’elle voulait. Le père de S., reparti non pas en France, mais en Belgique et fit des pieds et des mains (enfin c’est une image hein !) pour convaincre sa femme de l’y rejoindre. Mais celle-ci s’accrochait à son village, à sa famille, à ses amis et il était hors de question de quitter cela pour un pays dont elle ne savait rien. C’était sans compter sur son diable de mari fou amoureux d’elle et qui savait sortir des arguments de poids : « tu sais ici en Belgique, on t’apporte tous les jours le pain et le lait à la maison (ben oui c’était le temps où la laitière et le boulanger livraient), tu ne marches pas dans la poussière mais sur des carreaux même dans la rue, il y a la lumière partout et la nuit est aussi claire que le jour » (à part le lait et le pain livrés , les autres arguments c’est moi qui imagine hein !). Bon cédera la mère de S. je viens mais à une condition non négociable : je prends ma meilleure amie et son mari avec moi, hors de question de les laisser ici. Pour le père de S. seul comptait son amour et son désir d’avoir sa femme auprès de lui, de la serrer dans ses bras et bien sûr il accepta. Ils vécurent heureux, eurent froid l’hiver et chaud l’été et eurent de nombreux enfants, en fait de nombreuses filles, elles furent huit. Au village on en parle encore et la famille de la première promise décédée, devint si proche de la famille de S. qu’elle en fit littéralement partie pour toujours. La maman de S. partage toujours sa vie entre le Maroc et la Belgique. Elle a gardé son caractère trempé et malgré son âge malheur à celle qui voudrait décider pour elle. Voilà S., c’est une bien belle histoire que tu nous a contée.
Autre chose, j’ai commencé à planter des arbres fruitiers, deux pommiers (j’en ai ainsi quatre) deux pruniers, une vigne. J’avais déjà un poirier et aujourd’hui je vais repartir à Aubel et ramener deux cerisiers et quatre groseilliers (deux rouges et de verts) et peut être un autre poirier. On va ainsi transformer notre pelouse en verger-potager. Léo nous dit « attention la pelouse c’est vite tondu, un verger c’est du boulot ». Il sait de quoi il parle puisque lui et Marianne ont acheté un petit coin de paradis sur les coteaux où poussent tous les fruits de la planète, y compris raisins, kakis et kiwis…Bon ben tant pis pour le boulot, mais comme on ne mange pas de pelouse, on se dit que c’est une façon d’apporter notre pierre à la nature. J’avais lu un jour que dans les années soixante, dans la région de Charleroi, plus de cinquante pour cent de la production alimentaire était d’origine domestique. C’étaient les potagers individuels, les petits élevages de lapins, poules, dindes, oies et parfois, surtout chez les italiens, moutons et cochons. Et bien je crois vraiment qu’il faut redévelopper cette production domestique, meilleur moyen de lutter contre la malbouffe et de diminuer notre empreinte écologique.
J’ai été manger ces derniers temps quatre fois chez Juliette (je l’appelle Giulietta du nom d’une grand tante aujourd’hui décédée). Chez Juliette c’est en fait à Como en Casa, moi je dis chez Juliette comme Michel Delpech disait chez Laurette, mais chez Juliette il n’y pas de machine à sous. Eh ben, n. de dju, chaque fois c’était bon et même très bon. Le plat qui m’a le plus plu c’est le borch. Un borch à la russe avec fayots et légumes, tout simplement délicieux. Un autre jour j’avais été scotché par des navets confits et une petite galette de polenta rissolée. Vous en parler me donne encore l’eau à la bouche et je crois bien que je vais manger de la polenta aujourd’hui. Juliette est contente, elle ouvre une soirée de plus qu’à notre époque donc le jeudi, vendredi et samedi. Le midi c’est du mardi au vendredi. C’est aujourd’hui Laura et Laurent qui sont en cuisine. L’ambiance est conviviale, on sent qu’à eux trois, ils vont « sketter l’baraque » comme on dit à Ecaussines.
Allei, à la semaine, je vous dirai quoi à propos de S.

P.S le cec google group ne prend pas les e-mails. Pour m’écrire : mario.gotto@gmail.com ou sur FB

lundi 20 février 2017

La génération la plus chanceuse de l'histoire

Je suis né quelques années après la guerre, six ans après, en Europe et pas n’importe où en Europe, en Belgique c’est-à-dire dans la partie la plus avancée de l’Europe de l’après-guerre. Le Portugal et l’Espagne étaitent encore sous dictature fascistes et le resteront jusque 1975, la Grèce connaîtra la dictature des colonels et l’Europe centrale vivra derrière le mur jusque la fin des années quatre-vingt. J’ai conscience d’être d’une génération chanceuse, peut-être la plus chanceuse de l’Histoire. J’ai connu pratiquement le meilleur de ce qu’on a appelé les trente glorieuses qui désigne la période de prospérité exceptionnelle s’étendant de la fin de la guerre en 1945 jusque 1974, 75. L’accord social élaboré à la fin de la guerre a assuré les droits sociaux pour tous, le droit aux soins de santé, à des allocations sociales, à des congés payés, à une pension décente, à l’enseignement pour tous. J’ai connu une enfance et une jeunesse insouciante où nous pouvions, nous amuser, nous former, nous révolter. La révolution culturelle qui a suivi mai 68 nous a donné la possibilité de choisir et de construire librement le mode de vie qui nous convenait, libéré des idées figées héritées de la bonne éducation classique ou religieuse. Elle nous a permis de prendre conscience de l’autonomie, de l’autodétermination de l’être humain : c’est l’homme qui se détermine face aux événements et non plus les croyances ou les idéologies avec en corollaire ce défi : désormais, il n’y a plus rien de définitif, il n’y a pas de modèle fini, il faut choisir et se construire à tout moment.
J’ai connu la classe ouvrière et l’importance déterminante à cette époque du mouvement ouvrier mais j’ai connu aussi ce qu’Aurélie Filippetti a appelé la fin de la classe ouvrière et de son rôle prégnant dans la société. J’ai participé aux mouvements pacifistes, aux actions de solidarité avec les mouvements de libération en Amérique latine ou en Afrique. J’ai participé aux actions de solidarité avec les réfugiés et sans papiers… Ma génération a eu la chance de connaître à la fois une certaine insouciance économique et à la fois la volonté d’être solidaire et d’agir pour plus d’égalité et de droits pour tous.
J’ai connu le développement de la radio, de la télé, de la culture de masse. J’ai connu une des plus importantes révolutions technologiques née avec l’ordinateur, internet, le smartphone et maintenant l’internet des objets, les robots, les voitures sans chauffeurs…
Je sais qu’aujourd’hui, il faut se battre pour défendre les acquis sociaux mis à mal sous les coups de boutoir du capitalisme mondialisé. Je sais que depuis la fin des trente glorieuses, l’incertitude règne en maître, de larges pans de la population connaissent le chômage et l’exclusion. Que l’angoisse est forte face aux nouvelles technologies qui remplacent le travail humain. Je crois aussi que l’avenir est fait de lutte pour plus de qualité de vie que de quantités à consommer.
La génération qui nous suit a moins de chance que la mienne et que se passera-t-il pour la génération suivante, celle de mes petits-enfants. L’idée que les générations futures seront moins bien que nous fait son chemin.
Pour ma part je reste optimiste car je crois que des révolutions mentales sont possibles qui conduiront par exemple à une diminution radicale du temps de travail et à un système quel qu’il soit d’allocation universelle.
C’est pourquoi je me dis souvent que nous avons été la génération la plus chanceuse de l’Histoire. Il y a eu par le passé de grandes civilisations, égyptienne,  grecque, romaine. Il y a eu l’époque vénitienne…Il y a eu tant de périodes faites de grands bonds en avant créatifs de richesses et de beautés.  Sans doute les classes possédantes de l’époque étaient-elles ravies, gavées de richesses, de culture, de palais somptueux, mais au prix de guerres de domination permanentes et à quel prix pour les non patriciens, pour la plèbe, pour les esclaves.
On me rétorquera que la société actuelle s’est aussi construite sur le pillage du tiers monde, sur l’exploitation des travailleurs. C’est évident et cela me révolte encore. Mais si je parle de nous, génération européenne sans guerre directe, sans faim et avec quelques soit le statut, le droit de manger, le droit à un toit, le droit aux loisirs… Il faut alors reconnaître que nous avons été bien chanceux.
Je me dis parfois que le bien-être matériel ne suffit pas. Il me faut de la découverte, de l’incertitude, de l’inconnu, en un mot de l’aventure, de l’envie, du manque que je sois obligé de combler par moi-même… Et parfois j’ai comme des regrets, l’impression que tout est fait, tous les territoires sont découverts, les inventions essentielles sont là, on ne fait plus que modifier ou améliorer le produit, la voiture ou la machine… Il semble ne nous rester que l’aventure intellectuelle ou artistique. J’y saute à pieds joints mais avec une petite pointe de nostalgie pour ces temps où il restait tant de territoires et d’espaces inconnus. Quel luxe pourrais-je dire que de se plaindre de ne pas avoir eu l’occasion de prendre des risques.
Je me dis aussi, Il devait être bien le temps où seuls cinq cents millions d’être peuplaient la planète !!! Mais si je réfléchis, je me dis que l’aventure qui nous attend aujourd’hui est d’apprendre à vivre à dix milliards, sur la même surface, sans se faire la guerre et si possible en étant bien ensemble. Beau défi non ?
Vraiment je suis né dans la génération la plus chanceuse de l’histoire, dans un continent où le pire est passé….Je l’espère.

Allei, à la semaine prochaine, je dois vous parler de ma boulangerie et de ma fabrique de pâtes.

lundi 13 février 2017

Le cerveau et le larinx produirent l'humanité

J’achève mon histoire commencée il y a quinze jours. Je vous passe des détails et deux ou trois milliards d’années. Je ne vous raconté pas comment des molécules se sont accouplées, fusionnées, unies pour produire d’autres cellules plus complexes et plus riches. Les mutations ont été lentes mais constantes. La collaboration n’a jamais cessé. L’accumulation des mutations a permis à la nature de produire des chefs d’œuvre.
Il y a six millions d’années homo s’est séparé du chimpanzé et des primates. Ce qui nous sépare est le fait qu’Homo vit debout. (Les chimpanzés sont capables de se mettre debout mais pour de courts moments). On l’appellera l’homo habilis, il commence à fabriquer des objets à partir de galets, il crée le feu de camp (en récupérant les braises laissées par les incendies d’orage) qui lui permet de dormir tranquille à l’abri d’autres carnivores, il voyage et se déplace, l’Homo erectus se développe. Et il y a cent cinquante mille ans, apparaît en Afrique une nouvelle variété d’Homo. Ce qui est surtout nouveau c’est son crâne qui atteint mille quatre cent centimètres cubes, le double de celui d’Homo habilis. Le cerveau contenu dans ce crâne a déjà le même volume que le nôtre. Il va produire plus d’outils plus affinés, des vêtements qui lui permettront de résister au froid. Certains quittent l’Afrique et s’installent en Asie (il y a cinquante mille ans), d’autres en Europe (il y a trente-cinq mille ans). Homo erectus disparaît sous la pression de ces nouveaux venus, capables de s’organiser et de mettre au point des stratégies de chasse et autres : Homo Sapiens est né.
Outre le volume de son cerveau, un autre élément lourd de conséquence est changé : la position et la forme du larynx. L’air y passe à travers des cordes vocales, produit des vibrations capables d’être modulées grâce au mouvement de la langue et des lèvres. Des sons articulés sont possibles et vont donner naissance au langage.
L’existence du cerveau et du larynx va donner naissance à la véritable intelligence. Le cerveau humain de mille quatre cents centimètres cubes est riche d’environ cent milliards de neurones. L’homme dispose ainsi de deux fois plus de connexions qu’il n’y a de secondes dans quinze millions d’années. Au départ cette machine, s’il elle existe, n’est pas en état de fonctionner. Il faut un immense travail pour que les portes s’ouvrent, que les connexions opèrent, pour que le potentiel intellectuel se transforme en intelligence active. Pour cela il faut un apport extérieur. Les sens lui en fournissent, mais l’intelligence sensorielle ne concerne qu’un neurone sur cinq mille. Homo a besoin pour se construire sapiens d’autres choses que les données brutes que sont les couleurs, les sons, les odeurs et les goûts. La structuration du cerveau est donc le résultat de son propre fonctionnement. Mais pour s’autoconstruire, le cerveau a besoin d’une nourriture plus riche. Les sources les plus précieuses qu’il va trouver sont les cerveaux de ses semblables. La porosité la plus importante est celle qui donne accès au fonctionnement intellectuel de l’Autre. Ce qui permet cette porosité c’est le langage. Grâce au langage, on pourra se transmettre non seulement des connaissances et des informations, mais aussi des projets, des angoisses, des espoirs et des émotions. La transmission des savoirs va s’accélérer. L’homme va composer des phrases avec des mots et les autres seront capables de comprendre ces phrases, ces idées mais seront aussi capables de retenir et de ranger les mots de la phrase pour en faire d’autres phrases et émettre d’autres idées et concepts (on ne parle pas de Trump ici hein !!). Tout cela grâce à ce nouveau larynx. Il y a six mille ans, l’invention de l’écriture va permettre de communiquer à travers le temps et de stocker de la mémoire. Il y a un peu plus de cent ans la radio, puis la télévision va transmettre les informations à travers l’espace. L’informatisation et la numérisation va permettre un échange illimité de l’information.
Pendant longtemps l’évolution de la population humaine a simplement résulté d’un équilibre entre les naissances et les morts. Peu à peu son effectif s’accroît, d’abord à un rythme lent. Dix mille ans avant Jésus Christ, l’effectif n’est que de cinq millions d’êtres humains. L’agriculture va lui permettre d’atteindre un effectif de deux cent cinquante millions. Cela va rester ainsi durant le premier millénaire. Au treizième siècle, nous atteindrons quatre cent millions, puis huit cents millions au XVIII ième. Et puis les choses vont s’accélérer, le premier milliard est dépassé en 1825, le deuxième en 1925,  le troisième en 1960, le quatrième en 1975, le cinquième en 1987, le sixième juste avant l’an deux mille. Nous sommes aujourd’hui, en 2017,  sept milliards et demi d’êtres humains. On parle de onze milliards en 2050.
L’accélération de l’information et de l’intelligence a permis le développement et avec lui l’accroissement de la population. Il est possible aujourd’hui, si on le veut, de nourrir les sept milliards et demi d’habitants et ceux qui vont venir. Il faut pour cela que les révolutions technologiques soient mises au service de tous et que la richesse  produite soit répartie. Mais d’énormes dangers guettent la planète. La molécule, la bactérie a produit l’homme grâce à une collaboration sans limite, saurons-nous la poursuivre ?
Ainsi, après quinze milliards d’années, du big bang, de la poussière et des gaz est sortie une petite planète où s’est formée une purée qui par une infinité de coïncidences a donné vie à des structures toujours plus riches : des protons, des noyaux, des atomes, des molécules, la reproduction, la respiration, les espèces, le cerveau, le larynx, l’homme…doté d’un pouvoir qu’aucun autre n’a reçu : l’intelligence, le pouvoir de prendre le relais de la nature et de se charger lui-même de la suite des événements. Qu’en fera-t-il ?
Je termine par cette belle idée d’Albert Jacquard qui crée le concept d’Humanitude. « Plus que le passage de la nature à l’artifice c’est le remplacement de l’Humanité reçue par l’Humanitude construite qui décrit l’aventure humaine. Cette Humanitude allons-nous la dilapider ou la construire. L’homme d’aujourd’hui ne peut plus s’abandonner au cours naturel des choses en espérant que tout ira pour le mieux. Il ne peut plus prier des puissances extérieures. Il lui faut afficher ce qu’il veut pour demain regarder et gérer les contraintes. Il n’y a pas d’ailleurs accessible pour y vivre. Nous n’avons que notre planète. S’il en existe une autre elle est à des millions d’années lumières et donc inatteignable. On pourra glaner ici ou là des minerais et autres matières. Mais notre planète est le seul endroit où nous pouvons vivre, nous sommes assignés à résidence et son avenir dépend de nous. »

Allei, c’est pas tout ça mais j’ai du pain à cuire moi hein !!
(ce texte est largement inspiré du livre d'Albert Jacquard: La légende de la vie)

lundi 6 février 2017

Certaines apprirent à respirer

Les premiers objets que l’on peut qualifier de vivants sont apparus sur terre il y a trois milliards et demi d’années. C’étaient de minuscules gouttes issues de la « soupe » primitive (voir ma chronique de la semaine dernière). Ces gouttes ne se dissolvaient pas car les éléments la composant étaient rendus étroitement solidaires par l’existence d’une membrane. Parmi ces éléments, un brin d’ADN était porteur de l’information permettant de réaliser diverses protéines. Les bactéries présentes sur terre il y a trois milliards et demi d’années étaient semblables à celles que nous pouvons observer aujourd’hui (on a retrouvé des membranes pétrifiées). Difficile à accepter mais c’est grâce à ces êtres frustres que nous sommes présents. Ils étaient capables de se reproduire et c’était là leur arme essentielle : une bactérie qui peut se dédoubler toutes les vingt minutes aboutirait au bout de 24 heures à une population telle que serrées les unes contre les autres (elles font à peine un micron de diamètre) elles recouvriraient le territoire de la Wallonie.
C’est déjà une victoire inouïe dans laquelle le temps perdait toute prise pour exercer son pouvoir destructeur. Au lieu de résister au temps par l’inertie, comme les pierres simplement capables de durer, les bactéries narguaient le temps en faisant sans fin des doubles d’elles-mêmes.
Mais, problemo comme dirait mon grand-père, cette prolifération sans fin devint vite inquiétante, comme une tumeur qui grandit sans autre objectif que de croître et dans une uniformité terrifiante. Heureusement des erreurs se produisirent et ci et là des descendants d’une cellule naissaient différents, dotés de pouvoir que ne possédait pas leur cellule mère. La diversité s’accrut lentement. Elle permit l’interaction non plus seulement entre différents éléments à l’intérieur d’une bactérie mais entre bactéries elles-mêmes. Les différences apportèrent ainsi un ressort supplémentaire au déroulement de notre histoire. Au lieu de se dire « que le plus fort gagne », les bactéries comprirent qu’elles avaient intérêts à collaborer.
Grâce aux erreurs de reproduction, aux accidents de transmission, les bactéries ont mis en place au bout de quelques centaines de millions d’années une immense variété de souche. Elles avaient imaginé d’innombrables métabolismes. Associées en colonies riches de nombreuses espèces, elles pullulaient dans les milieux les plus extrêmes et chaque espèce faisait sa part : certaines s’adaptaient au froid, d’autres à la chaleur, certaines au milieu acide, d’autres au milieu basique, certaines trouvaient leur énergie dans la lumière du soleil, certaines produisaient des déchets que d’autres utilisaient comme nourriture. Certaines ont même été capables de fixer sous forme d’acides aminés l’azote de l’air, tandis que d’autres (et à la suite tous les êtres vivants) utilisaient ces acides aminés pour synthétiser les substances constituant leur organisme.
Les bactéries photosynthétiques  utilisaient au début l’hydrogène sulfuré rejeté dans l’atmosphère par les volcans. Quand cette source s’épuisa, des bactéries furent capables d’utiliser une autre matière première : l’eau. Mais la décomposition de l’eau donnait de l’hydrogène ET de l’oxygène, poison terriblement toxique. Apparurent alors les « cyanobactéries », plus connues sous le nom d’algues bleues, qui provoqua un véritable cataclysme planétaire. En quelques centaines de millions d’années la quantité d’oxygène fut telle que la plupart des espèces ne purent le supporter et disparurent. D’autres se réfugièrent dans des abris isolés de l’atmosphère. Elles connurent des mutations qui leur permirent de résister à cette accumulation de poison et même d’en bénéficier. Elles mirent au point des métabolismes basés sur l’oxydation et trouvèrent ainsi leur salut : elles apprirent à respirer.
A ce stade, la collaboration entre les différentes bactéries atteignit la perfection. De même que les déchets des unes étaient la nourriture des autres, les unes consommaient, en respirant, l’oxygène produit par la photosynthèse nécessaire à la survie des autres.
C’était il y a un peu plus d’un milliard d’années. La collaboration des bactéries entre elles avaient surmonté le problème que leur existence avait posé en transformant leur milieu. De l’oxygène, elles avaient fait un aliment. La suite va encore prendre presque un milliard d’années mais est assez facile à imaginer. La variété des espèces sera sidérante. Certaines resteront dans l’eau, d’autres en sortiront, en rampant, puis en marchant ou en volant, développant ensemble une merveilleuse planète faite d’une diversité inestimable. (Un autre changement majeur verra encore le jour pour notre plus grand bonheur c’est que si pour se reproduire, une bactérie donnait deux bactéries, (1 =2) avec le temps, il faudra deux êtres vivants pour en produire un nouveau (2=1). Eh, Eh faut pas grand-chose pour être heureux hein, quel beau cadeau nous a fait là la nature n’est-ce pas!!)
Mais l’essentiel était fait, les bactéries avaient inventé la respiration. En collaborant, les bactéries avaient ainsi dirigé l’aventure de la vie dans une voie irréversible.
Notre histoire a débuté il y a quatre milliards et demi d’. A l’échelle de l’histoire de la planète et de la vie, notre histoire contemporaine, disons même les deux mille ans qui viennent de passer, n’équivalent pas à un micron sur un mètre. Et pourtant, nous pourrions détruire ce que la nature a mis tant de temps à construire.
Elles ont bien appris à respirer, on apprendrait bien à collaborer non ?

(L’essentiel de ce texte est tiré du livre d’Albert Jacquard : La Légende de la Vie »)