lundi 20 février 2017

La génération la plus chanceuse de l'histoire

Je suis né quelques années après la guerre, six ans après, en Europe et pas n’importe où en Europe, en Belgique c’est-à-dire dans la partie la plus avancée de l’Europe de l’après-guerre. Le Portugal et l’Espagne étaitent encore sous dictature fascistes et le resteront jusque 1975, la Grèce connaîtra la dictature des colonels et l’Europe centrale vivra derrière le mur jusque la fin des années quatre-vingt. J’ai conscience d’être d’une génération chanceuse, peut-être la plus chanceuse de l’Histoire. J’ai connu pratiquement le meilleur de ce qu’on a appelé les trente glorieuses qui désigne la période de prospérité exceptionnelle s’étendant de la fin de la guerre en 1945 jusque 1974, 75. L’accord social élaboré à la fin de la guerre a assuré les droits sociaux pour tous, le droit aux soins de santé, à des allocations sociales, à des congés payés, à une pension décente, à l’enseignement pour tous. J’ai connu une enfance et une jeunesse insouciante où nous pouvions, nous amuser, nous former, nous révolter. La révolution culturelle qui a suivi mai 68 nous a donné la possibilité de choisir et de construire librement le mode de vie qui nous convenait, libéré des idées figées héritées de la bonne éducation classique ou religieuse. Elle nous a permis de prendre conscience de l’autonomie, de l’autodétermination de l’être humain : c’est l’homme qui se détermine face aux événements et non plus les croyances ou les idéologies avec en corollaire ce défi : désormais, il n’y a plus rien de définitif, il n’y a pas de modèle fini, il faut choisir et se construire à tout moment.
J’ai connu la classe ouvrière et l’importance déterminante à cette époque du mouvement ouvrier mais j’ai connu aussi ce qu’Aurélie Filippetti a appelé la fin de la classe ouvrière et de son rôle prégnant dans la société. J’ai participé aux mouvements pacifistes, aux actions de solidarité avec les mouvements de libération en Amérique latine ou en Afrique. J’ai participé aux actions de solidarité avec les réfugiés et sans papiers… Ma génération a eu la chance de connaître à la fois une certaine insouciance économique et à la fois la volonté d’être solidaire et d’agir pour plus d’égalité et de droits pour tous.
J’ai connu le développement de la radio, de la télé, de la culture de masse. J’ai connu une des plus importantes révolutions technologiques née avec l’ordinateur, internet, le smartphone et maintenant l’internet des objets, les robots, les voitures sans chauffeurs…
Je sais qu’aujourd’hui, il faut se battre pour défendre les acquis sociaux mis à mal sous les coups de boutoir du capitalisme mondialisé. Je sais que depuis la fin des trente glorieuses, l’incertitude règne en maître, de larges pans de la population connaissent le chômage et l’exclusion. Que l’angoisse est forte face aux nouvelles technologies qui remplacent le travail humain. Je crois aussi que l’avenir est fait de lutte pour plus de qualité de vie que de quantités à consommer.
La génération qui nous suit a moins de chance que la mienne et que se passera-t-il pour la génération suivante, celle de mes petits-enfants. L’idée que les générations futures seront moins bien que nous fait son chemin.
Pour ma part je reste optimiste car je crois que des révolutions mentales sont possibles qui conduiront par exemple à une diminution radicale du temps de travail et à un système quel qu’il soit d’allocation universelle.
C’est pourquoi je me dis souvent que nous avons été la génération la plus chanceuse de l’Histoire. Il y a eu par le passé de grandes civilisations, égyptienne,  grecque, romaine. Il y a eu l’époque vénitienne…Il y a eu tant de périodes faites de grands bonds en avant créatifs de richesses et de beautés.  Sans doute les classes possédantes de l’époque étaient-elles ravies, gavées de richesses, de culture, de palais somptueux, mais au prix de guerres de domination permanentes et à quel prix pour les non patriciens, pour la plèbe, pour les esclaves.
On me rétorquera que la société actuelle s’est aussi construite sur le pillage du tiers monde, sur l’exploitation des travailleurs. C’est évident et cela me révolte encore. Mais si je parle de nous, génération européenne sans guerre directe, sans faim et avec quelques soit le statut, le droit de manger, le droit à un toit, le droit aux loisirs… Il faut alors reconnaître que nous avons été bien chanceux.
Je me dis parfois que le bien-être matériel ne suffit pas. Il me faut de la découverte, de l’incertitude, de l’inconnu, en un mot de l’aventure, de l’envie, du manque que je sois obligé de combler par moi-même… Et parfois j’ai comme des regrets, l’impression que tout est fait, tous les territoires sont découverts, les inventions essentielles sont là, on ne fait plus que modifier ou améliorer le produit, la voiture ou la machine… Il semble ne nous rester que l’aventure intellectuelle ou artistique. J’y saute à pieds joints mais avec une petite pointe de nostalgie pour ces temps où il restait tant de territoires et d’espaces inconnus. Quel luxe pourrais-je dire que de se plaindre de ne pas avoir eu l’occasion de prendre des risques.
Je me dis aussi, Il devait être bien le temps où seuls cinq cents millions d’être peuplaient la planète !!! Mais si je réfléchis, je me dis que l’aventure qui nous attend aujourd’hui est d’apprendre à vivre à dix milliards, sur la même surface, sans se faire la guerre et si possible en étant bien ensemble. Beau défi non ?
Vraiment je suis né dans la génération la plus chanceuse de l’histoire, dans un continent où le pire est passé….Je l’espère.

Allei, à la semaine prochaine, je dois vous parler de ma boulangerie et de ma fabrique de pâtes.

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