lundi 25 avril 2016

Journal d'un restaurateur (18)

Il faut que je vous raconte ce qui nous est arrivé, nous n’en revenons pas nous-mêmes.
Nos deux soirées de fin de semaine ont été magnifiques et nous avons presque fait le plein les deux fois. Nous sommes fiers de tous nos clients. Ce vendredi et samedi, nous avons reçus beaucoup de nouveaux et la plupart par table de quatre. Ils viennent le plus souvent grâce au bouche à oreille, et d’une façon ou l’autre nous disent « on nous a dit du bien de votre resto alors on vient voir. » Et quand ils sont satisfaits, nous en sommes heureux et satisfaits à notre tour. Pour nous tout le monde a la même importance et nous les servons tous aux mieux.
Nous avons des clients-amis très amateurs de restaurants et de fines cuisines, qui nous racontent leurs escapades gourmandes et qui placent notre cuisine pas toujours  en tête mais souvent dans le haut de leur classement. Il s’agit de trois couples différents et leur avis comptent beaucoup pour nous.
Bien sûr quand nous recevons d’autres restaurateurs ou cuisiniers et que ceux-ci nous complimentent, c’est encore différent, car cela vient de praticiens qui savent ce que c’est de sortir 50 couverts d’une égale qualité.
Nous savons que rien n’est jamais acquis et tout doit être remis sur le métier à chaque fois.
Mais ce qui nous est arrivé samedi est une première. C’était un défi et nous l’avons bien relevé.  Bon allez, je vous raconte donc :
Ce dimanche avait lieu la classique Liège-Bastogne-Liège. Nous savons Marlène et moi que les veilles de classique nombre de cyclistes amateurs font le parcours des professionnels. Notre beau frère Jean Louis a fait à plusieurs reprises certaines étapes du tour de France et souvent les plus difficiles.
Donc les hôtels liégeois étaient combles de tous ces amateurs. J, de l’hôtel Neuvice, avait réservé une table pour un groupe de 12 personnes présentes à Liège pour la course. Elle m’a juste dit qu’il y avait parmi eux un directeur d’un grand hôtel parisien et qu’il souhaitait manger du « bon produit » dans un endroit où ils puissent être tranquilles entre eux. Une dame, anglaise, avait organisé leur séjour et est arrivée légèrement en avance, s’excusant que trois membres du groupe avaient dû rentrer de suite sur Paris et que les autres seraient légèrement en retard mais qu’ils avaient très faim car ils terminaient leur Liège Bastogne Liège. Bon le resto était bondé et c’était bien que ce groupe vienne après le coup de feu. Ils sont arrivés à 9 h et il m’est apparu assez rapidement que nous avions affaire à un groupe sympa. Une dame (avec l’anglaise, elles étaient trois femmes et donc six hommes) me dit discrètement, « vous avez à table de grands restaurateurs parisiens »…ah, me suis-je dit, bon, je ne vais rien dire en cuisine pour ne pas mettre la pression et je me suis surpris à être confiant sur la suite.
C’était sans compter sur les présentations que tenait à me faire le monsieur qui semblait à l’évidence être le leader du groupe. A commencer par lui-même : Werner Kuchler, directeur du restaurant du Plaza athénée de Paris, un cinq étoiles avec comme chef Alain Ducasse, multi étoilés et mondialement connu.  Kuchler a été élu meilleur directeur de restaurant. C’est une très forte personnalité et il suffit de taper son nom dans google pour se faire une idée de la richesse humaine du personnage et si vous ajoutez à son nom « la règle du jeu, vous trouverez un article qu’il a écrit sur sa vision de la cuisine.
Il y avait aussi Philippe Leboeuf, manager général du Mandarin Oriental, où officie Thierry Marx, deux étoiles au Michelin, très connu pour sa participation au jury de top chef et ses recherches en gastronomie moléculaire. Taper aussi Philippe Leboeuf dans google et vous tomberez sur son impressionnant CV.
Autre fana de vélo présent, Pino de  « Pizza Pino « , qui avec ses 140 pizzaiolos sort des millions de pizza que s’arrachent des millions de touristes qui peuvent ainsi se payer pour 15 euros un plat de très grande qualité, sur les Champs Elysées.
L’organisatrice avait demandé si nous accepterions qu’ils viennent avec leur propre champagne car il y avait parmi eux Loïc Scharbarg  des champagnes  Castelnau, sponsor du Tour de France. Toute cette bande disposait d’un coach qui était là lui aussi : Cédric Vasseur, maillot jaune lors de la cinquième étape du Tour de France 1997. Le dernier homme était un ancien ingénieur de l’industrie textile, aujourd’hui retraité. C’est lui qui, à un moment de la soirée est venu près de moi au bar pour m’expliquer que ce qui les rassemblait était le vélo, qu’ils faisaient nombre de classiques, qu’ils avaient fait le tour de France, mais aussi la route 66 aux Etats-Unis, 3000 km en alternant vélo et car.  Il m’informa également qu’une des dames qui était là était la patronne des danseurs de l’opéra de Paris.
Bon évidemment, ma nervosité était montée d’un cran quand même et bien sûr … je me suis gouré dans la prise de commande. Madame Kuchler m’a dit discrètement et gentiment, « prenez un papier où il n’y a rien de déjà écrit et cela sera plus facile », j’avais en effet pris un morceau de papier sur lequel il y avait des griffonnages d’autres commandes. Ils ont tous accepté de bon cœur de refaire leur commande.
Au fur et à mesure que les plats étaient servis la pression est tombée et j’ai vite senti avec les entrées que c’était gagné. Pino m’a dit qu’il avait rarement mangé une scamorsa comme la nôtre et plusieurs ont dit que le tartare de patates douces au guacamole était un parfait délice. 
Evidemment comme tout grand restaurateur, certains y sont allés de demandes particulières. Nous y sommes habitués car il est rare que l’on ne nous demande pas de corriger telle ou telle composition pour des allergies ou des intolérances alimentaires. Ici ce n’était pas l’objet : Kuchler souhaitait un plat de pâtes en supplément à son boeuf aux légumes, Pino demanda du risotto aux asperges avec son bœuf et sans légumes, et  Scharbarg souhaitait le bœuf tel que prévu au pavot mais préparé en petites lamelles (ce que nous faisons régulièrement et nous appelons cette formule le bœuf à la Jean Marc, du nom du premier client qui nous avait fait cette demande). C’est Pino qui a choisi le Fortuita, un vin des Pouilles que j’apprécie beaucoup. Tous ont apprécié la cuisson des légumes et deux suppléments ont été demandés ainsi qu’un plat d’asperges dont nous leur avons fait la surprise.
Quand Marlène est sortie de la cuisine, je n’ai pas eu le temps de la présenter, tous se  sont levés et se sont mis à l’applaudir. Chacun a tenu à l’embrasser et Kulcher tenait à lui dire qu’avec Ducasse, il voulait aussi développer une cuisine nature et Marlène et lui sont partis dans une discussion passionnée. De toute évidence, le grand directeur était sincèrement séduit.
Pendant ce temps, Pino et moi tombions dans les bras l’un de l’autre en découvrant que nous venions du même coin d’Abruzzo, lui de Giulianova (qui est la plage que je fréquentais dans les années où n’y existait aucun hôtel) et moi de Tossicia qu’il connaît très bien quand il y passe en vélo pour aller au Gran Sasso. « Ma siamo paesanni » s’exclama-t-il !! Nous avons parlé pizza et je lui ai dit que justement la semaine prochaine nous mettions notre pizza végétarienne à la carte. Nous avons parlé cuisine abruzzese. Son oncle gère un excellent restaurant dans la vieille Giulianova « la Bellavista ». Il m’a fait promettre que quand il reviendrait l’an prochain, nous lui préparerions la Pasta con Fagioli. Il s’agit de notre plat national, sans aucun doute le meilleur du monde et je le dis en toute objectivité et sans chauvinisme hein !!!. Pino m’a dit de ne pas passer à Paris sans aller le saluer et goûter sa pizza sur les champs Elysées.
Tout cela venait après une semaine riche en émotion de toutes sortes et d’autres rencontres dont je vous parlerai une autre fois.

Quand ce groupe de VIP est parti, il était minuit et quelques, le volet des restaurants voisins étaient baissés. Nous étions fatigués mais tellement contents et l’adrénaline trop présente nous empêchait d’aller de suite au lit. Nous avons éclusé un excellent crémant d’Alsace. Nous nous sommes dit que quelque chose était arrivé dont nous pouvions, en toute modestie, être fier, mais que chaque jour était différent, que nous n’allions pas nous prendre la tête et que demain, nous allions continuer à faire des choses bonnes pour tout le monde, propres et justes.  Et aussi, que nous ne devions surtout pas oubliés de remercier nos amis de l’hôtel Neuvice de la confiance qu’il nous accorde en nous envoyant des clients aussi prestigieux.

1 commentaire:

  1. Que tout cela est agréable à lire ! C'est superbement raconté, en plus...

    Salut et Fraternité !

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