lundi 18 avril 2016

Journal d'un restaurateur (17)

Magique, la soirée de samedi a été fabuleusement magique. D’où cela vient-il ? Sans doute y a-t-il des jours où nous sommes plus en forme que d’autres, plus ouverts, plus attentifs aux gens qui sont là, à leurs attentes, à leur plaisir. Dès 18h30, quatre tables sont arrivées, coup sur coup, dont trois jeunes sœurs emmenées par l’une d’elle qui était déjà venue avec son père. Je m’en souvenais car il avait écouté sans ciller mes explications sur l’araignée de porc et ce n’est que quand j’eus terminé qu’il m’informa qu’il était boucher de profession. Ces trois sœurs étaient hyper-sympas, elles avaient 1h30 pour manger car elles allaient à un spectacle au Forum, je ne sais plus lequel. En partant, elles m’ont dit au revoir « Mario » en rigolant. Je me demande où elles avaient appris mon prénom.
Une autre table était occupée par trois autres jeunes (bon quand je dis jeunes, j’estime leur âge entre 25 et 35 ans, des gosses quoi !). Ces trois derniers gèrent un salon de tatouage à Rocourt. Bien sûr, nous avons parlé tatouage mais surtout lunettes car l’un d’entre eux outre quelques piercings, portait des lunettes superbes et originales. Il m’a expliqué qu’il en avait toute une collection et qu’il en achetait à chacun de ses voyages. Ces dernières venaient d’Irlande. La plupart du temps ce sont des solaires de qualité et dès qu’il rentre en Belgique, il demande à son opticien d’y mettre ses verres correcteurs.
Il y avait bien sûr les trois tables habituelles de couples venant de Flandre, toujours très sympas et heureux d’être là et aussi une table internationale (une italienne, un français, une maltaise et une belge). Je ne connais pas très bien leur organisation mais ils se réunissent tous les deux ou trois mois à Liège et viennent toujours manger chez nous. On finit par se connaître, le français apprécie beaucoup notre carte de vins. Ils ont choisi Leblanc (c’est le nom du vin) de Lirac, il contient 15% d’un cépage très peu connu, le Bourboulenc, qui donne un goût très particulier et extraordinaire à ce vin composé majoritairement de Roussanne et de Marsanne. Je me l’étais procuré au salon des vins bio de la semaine dernière.
Depuis que Dina et Pauline sont là, je peux me permettre de passer plus de temps avec les gens une fois le coup de feu terminé. Ces deux filles sont de vraies travailleuses et je peux vraiment m’appuyer sur elles. J’ai passé un long moment avec un couple de retraités, qui était déjà venus mais avec qui je n’avais jamais eu l’occasion d’échanger.  Lui a été avocat en début de carrière, puis juge, il a siégé dans quelques cours d’assisse et il a terminé les quinze dernières années comme juge de paix. C’est cette dernière partie de carrière qu’il a le plus appréciée. Comme je lui disais que nous avions eu en semaine une table de 30 juristes démocrates, nous avons passés un certain nombre de noms en revue et il m’a dit qu’en fait il avait été avec maître Raskin, l’un des fondateurs de l’Association Liégeoise des Juristes Démocrates.
Sa femme a été enseignante toute sa vie. Biologie et physique. Nous avons discuté de l’évolution des rapports enseignant-élève et comme à ce moment, les tatoueurs sont venus me dire au revoir, nous avons parlé de l’évolution de l’habillement et de l’apparence physique (cheveux longs, cheveux ras, tatouages, piercings). Je leur ai montré la photo de ma classe d’école primaire de Strépy, et me suis rappeler que notre instituteur, monsieur Jadoul, était toujours en costume et cravate et recouvert de son tablier en grosse toile grise. La dame a expliqué qu’elle avait toujours porté une tenue classique dans son métier de prof, même si chez elle, elle pouvait porter jeans et sandales. La conversation a porté sur le fait de savoir si en s’habillant de façon décontractée ou ordinaire ou comme les jeunes, les profs ne perdaient pas une part de leur autorité et de leur respectabilité face aux élèves. Intéressante question  mais très difficile. Comment réagiraient des élèves aujourd’hui face à un prof qui porterait chaque jour costume et cravate ?
Nous sommes passés du coq à l’âne et le juge a raconté qu’au Palais de justice de Liège, dans l’ancien palais des Prince évêques, les juges n’avaient pas de bureaux !!Il y avait juste au sous-sol une petite salle avec des armoires métalliques et deux bureaux eux aussi métalliques. C’est là que se trouvaient les dossiers et c’est là que les juges les étudiaient !!!Vous imaginez cela, me dit-il. Lui avait pris l’habitude de reprendre ses dossiers le vendredi en fin de journée et de les étudier chez lui le WE. Quand il a été nommé juge de paix dans une ville voisine, il disposait d’un vaste bureau de 40 m2 et de deux secrétaires pour l’assister ; donc me disait-il ce n’était pas la fonction qui créait les bonnes conditions de travail mais le hasard des bâtiments disponibles. Autre info intéressante, ils venaient d’assister au Palais à une représentation  (avec des avocats et des comédiens) d’un procès d’Assisse. Il trouvait cette reproduction assez bien faite et crédible (c’est pour avoir son avis qu’on l’y avait invité). Il m’apprend que cela se fait régulièrement comme moyen de formation des jeunes avocats.
Nous avons terminé la soirée avec un couple venant de Plainevaux. Ils étaient là pour la première fois, ils passaient par hasard et nous dirent qu’ils avaient superbement mangé. La discussion a tourné autour de la nourriture, des préparations et des légumes oubliés. La dame est fana de cuisine et consomme autant que possible du bio. Marlène et elle ont longuement discuté et vraiment sympathisé.
Je crois que samedi, personne n’a quitté le restaurant sans nous remercier et nous féliciter.
Quand nous sommes partis, il était minuit passé. Les autres restaurants avaient baissés leur volet et je me suis repassé le film de la soirée. Quand le restaurant est plein comme ce samedi, il y règne une ambiance que j’appelle de brasserie où même le repas terminé, les gens restent (le restaurant a commencé à se vider à partir de 11h ou 11h30), parlent entre eux et j’adore ce brouhaha. Parfois, de mon bar-comptoir, je regarde les gens, je suis heureux qu’ils soient heureux, que grâce à notre lieu et notre cuisine, leur soirée est réussie et qu’ils pourront rentrer chez eux content de leur soirée J’ai aussi pensé dans la foulée des petites phrases de la semaine dernière à ce compliment que nous a fait un monsieur érudit à propos de la crème brûlée : « Je crains que les fondements de ma laïcité ne vacillent et qu’en goûtant cette crème brûlée, j’en arrive à penser que Dieu existe ». Beau hein !!

Allei, j’ai été long, mille excuses. Bon maintenant il vous faut penser sérieusement à réserver pour Barbara hein. C’est le 12 mai.

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