mercredi 2 novembre 2011

nostalgie


Petit coup de blues cette semaine, allez savoir pourquoi. Je suis dans la voiture à l’arrêt, je vois passer un monsieur dont l’apparence  me fait faire un bon de près de 50 ans en arrière : je revois les mineurs de la cantine des italiens que ma mère invitait à manger à la maison, le dimanche, pour qu’ils se sentent moins seul. Il y avait Armando, Tony et Gino. Ils s’habillaient « de dimanche », souvent avec un pull tricoté main et col V, avec chemise et cravate. Nous étions intimidés par ces visages à la fois durs et gentils. Avec ma mère, il retrouvait un peu de la cuisine de chez eux et se sentaient moins seuls qu’à la cantine. Ils avaient leurs cils noirs comme s’ils s’étaient mis du rimmel. Des blessures aux mains ou à la figure étaient imprégnées de charbon, traces à vie, comme un tatouage. Je me souviens des discussions entre eux et leur révolte après la catastrophe de Marcinelle. Je saisissais des bribes de conversations qui disaient «  moi, je ne retourne plus au fonds ». J’avais 7 ou 8 ans et j’étais angoissé par cette ambiance… Un jour, Armando s’était entaillé le doigt, l’avait recouvert de poudre à lessiver et emballé pour que l’infection lui serve à obtenir un certificat médical.
La cantine était le lieu d’hébergement collectif des mineurs italiens célibataires, ils y logeaient et y mangeaient, une cantinière (ma mère pendant une courte période) faisait les repas principaux mais chacun pouvait faire sa cuisine et une dizaine de petits réchauds au gaz étaient à leur disposition. Plus tard, j’avais 20 ans, je fus amené à organiser l’occupation de la cantine de Bracquegnies (près de La Louvière), avec les derniers hébergés, pour en empêcher la fermeture et la destruction. Durant l’occupation, une ancienne cantinière était revenue faire à manger pour nous soutenir, elle cuisinait merveilleusement. Mais nous avons perdu ce combat et la cantine fut fermée et ses quatre derniers habitants, pensionnés mineurs, furent dispersés dans des meublés de la région. Cette histoire constituait les pages centrales du journal POUR de l’époque. Aujourd’hui un  centre culturel de La Louvière porte comme nom «  Cantine des Italiens ».
J’adore le musée de la Vie Wallonne que je visite régulièrement, mais je regrette qu’on n’y ait pas fait une place à  ces immigrés qui ont fait une partie de l’histoire de la  Wallonie.
Plus tard, nous habitions Soignies, ma mère partait de la maison avec de gros paquets, sans rien nous dire, et il nous fallu du temps pour apprendre qu’elle distribuait ces colis aux familles les plus pauvres qu’elle connaissait et qui pour la plupart étaient des familles
d’immigrés. Marlène et moi sommes allés ce 1er novembre sur la tombe de ma mère, à Naast, près de Soignies :
Patella Ferrina
Novembre 1927-décembre 1981
54 ans. Plus jeune que je ne le suis moi-même aujourd’hui.


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