mardi 27 septembre 2011

Les villages de Paris


On dit beaucoup de choses de Paris, on dit entre autres qu’elle est la ville aux cent villages. La Butte aux cailles est un de ceux-là et nous étions impatients de le découvrir. Nous sommes arrivés en gare du Nord vendredi à onze heures et à midi trente, nous grimpions la Butte aux Cailles.
Nous avions juste pris le temps de déposer nos bagages à l’hôtel « Le Chariot d’or » sur Turbigo et non au Tiquetonne, qui est notre hôtel habituel depuis plus de vingt. Nous ne lui avions fait qu’une seule infidélité en logeant quelques nuits à l’hôtel des Croisés, très bien mais décentré. Nous adorons les vieux hôtels parisiens, où les murs des chambres sont encore tapissés de papiers peints, avec leur allure vieillotte et leurs meubles usés, « puisqu’il ne faut rien jetés n’est-ce pas, ça peut toujours servir… ». Ce « Chariot d’or » était particulièrement vieillot. Seuls, la salle à manger et les salons ont gardés les traces et le décor, défraîchis et usés,  de sa splendeur passée. On y est accueilli aujourd’hui non plus par la vieille dame ronchonne qui regarde si vous vous êtes bien essuyé les pieds avant d’entrer, mais par une femme avenante dont l’accent laisse penser qu’elle est d’origine suédoise et c’est une autre dame, d’origine philippine elle, qui vous sert le petit déjeuner ; bref des françaises comme nous les adorons puisqu’elles font râler les Lepen, père et fille. La chambre était bien tapissée de vieux papiers, le lit confortable, la salle de bain plus grande que celle que nous avions dans notre palace newyorkais et le double vitrage ne laissait passer aucun bruit. Dans nos city trips, nous ne rentrons à l’hôtel que pour nous changer pour le dîner du soir et ensuite, fourbus, souvent un peu pompette, pour dormir. Nous faisons donc tout pour fuir les hôtels sans âme, sans passé et aseptisés. Ce n’est pas le cas quand nous partons pour séjourner durant des vacances plus longues bien sûr. Le Chariot d’or et le Tiquetonne se trouvent à Montorgueil, près de Beaubourg et de la Grande Halle.
En un bon quart d’heure, vous êtes à la Butte aux cailles. Vous prenez la ligne sept du métro, descendez Place d’Italie, prenez à pieds le boulevard Blanqui et à hauteur du numéro 51, (de l’autre côté du boulevard se trouvent le beau bâtiment du journal « Le Monde ») un passage sous le HLM et des escaliers vous conduisent à la Butte. De suite vous êtes dans un autre Paris, fait de petites maisons, d’ambiance populaire et conviviale, d’absence de voitures et de bruits de circulation, de sirènes et de coups de klaxons…Les habitants de la Butte ont été les derniers à se rendre aux versaillais lors du renversement de la Commune, aussi les cafés et les restaurants portent des noms tels que « Le Clément », « La folie en tête », « Le Merle Moqueur ». Certains ont des noms qui ont quitté l’époque de la Commune, ainsi au Passage Barrault, un café a pour nom « les oiseaux de passage ». Nous, nous venions pour aller manger au restaurant « Le Temps des Cerises », société coopérative ouvrière de production comme le dit l’enseigne. Le décor et l’ambiance y sont d’une simplicité qui rend le lieu magique. Sur les treize personnes qui y travaillent, dix sont des coopérateurs. Tous ont presque le même salaire et 3 jours de congé par semaine. Un lunch (entrée+plat ou plat+dessert) vous est déjà proposé à partir de 11€. J’ai pris la formule à 16€, Marlène a pris le plat seul, ce qui nous a permis de partager l’entrée faite de fromage blanc au concombre et céleri. Je n’aurais pas su manger ces 500 gr de fromage seul. Marlène a pris de délicieuses joues de porc, parfaitement cuites, moi, j’ai eu droit à un boudin noir à la Normande : un caquelon chaud recouvert de tranches de pomme cuites en-dessous desquelles, j’ai trouvé de la compote un peu rosée dans laquelle j’ai trouvé mes deux boudins noirs cuits. Original, simple et bon. Si nous avons payé 48e c’est parce que nous avons pris chacun un demi litre de vin, Marlène boit du blanc, moi du rouge.
Nous avons traîné un  peu dans le resto, ambiance trop bonne, et sommes partis en nous promettant d’y revenir même si on sent que le lieu finira envahi par les bobos venant du tout Paris.
Si l’envie vous prend d’y aller, nous avons découvert un hôtel intéressant, dans le quartier. Vous voyez, un de ces hôtels où les gens louent la chambre à la semaine, au mois ou à l’année, là où va se réfugier le pauvre homme dont la femme menace de tuer le chat, là où le représentant de commerce dépose ses produits de démonstration, là où une vieille concierge passe ses journées derrière son rideau, qu’elle écarte légèrement pour dévisager le nouvel arrivant qui ramène une fille dans sa chambre en plein milieu de l’après midi…Je vous assure que cela vaut la peine de faire l’expérience si le Paris qui vous intéresse n’est pas (seulement) le Paris classique, mais bien celui des gens. La chambre pour une personne avec coin cuisine est à 140€ la semaine, 170 avec cuisine et bain. La chambre pour deux avec cuisine est à 200€ la semaine et à 240 avec cuisine et bain. Il s’appelle « l’hôtel des cinq diamants » à la rue des cinq diamants. Vous pouvez ne pas prendre la salle de bains et utiliser les nombreux bains publics encore bien présents à Pazris, dont un très beau près de Beaubourg.
Justement, l’après midi, nous sommes allés à Beaubourg,  visiter la rétrospective sur Munch. Riche de 140 peintures et photos, elle a plu à Marlène, à moi moins. Evidement, la spécialité de Munch, le névrosé, était de recopier jusque dix ou douze fois ses tableaux, se faisant un point d’honneur à bâcler son travail, qui s’il était très expressif, manquait grandement d’imagination et de créativité. Bref, je comprends qu’on puisse aimer mais moi, pas. Heureusement les douze euros du prix d’entrée donnent accès aux collections permanentes, réparties sur deux étages du Centre Pompidou, l’un pour la période de 1960 à nos jours, qui s’ouvrent par une toile d’un de mes peintres préférés, Cy Twombly,  l’autre couvrant la période de 1905 à 1960, moins intéressante pour nous parce que vus et revus…
Nous avons soupé dans le quartier où nous logions : Montorgueil, autre village parisien qui couvre les rues Tiquetonne, Montorgueil et Saint Denis. La rue Saint Denis des prostituées d’hier, des filles de joie, des dames de plaisir où n’importe quel nom respectable que vous voulez leurs donner. Il y en avait encore quand nous étions venus la dernière fois. Aujourd’hui, les « maisons closes » ou les « hôtels de passe » ont laissé place aux restaurants et aux cafés où vous payez minimum cinq euros le plus petit verre de vin.
Je découvre depuis New York et surtout Clesea, que l’on peut mesurer la « boboisation » d’un quartier aux nombres, au  design et à la cherté des vélos qui y circulent. Inimaginable de voir des vélos à cinq ou six mille euros qui amènent les aisés de Paris dans les dizaines de restos de Montorgueil qui est ainsi devenus « Le » quartier branché du centre. Nous avons mangé des plats « modernes », pas extraordinaires, mais nous est venus l’idée de détourner le contenu de l’un d’entre eux pour en faire une merveille. C’est encore secret mais ce sera terrible, vous verrez. C’est aussi  à cela que nous servent les voyages.
Figurez-vous : nous fréquentons le Tiquetonne depuis vingt ans, bien avant le phénomène actuel. Nous y allions pour le charme et le prix (69€ la chambre double) de l’hôtel (à condition de refuser les chambres du sixième étage) et pour sa position centrale, en un quart d’heure vous êtes à Notre Dame ou à Saint Germain. Il ya quelques mois, nous discutions famille avec les parents de Marlène, en Espagne ; nous parlions d’un des oncles de Marlène, mineur antifranquiste, réfugié à Paris et le père de Marlène de nous dire « je me souviens encore du nom de la rue car c’était un nom spécial « rue Tiquetonne ». Prononcez à la façon du père de Marlène cela donne « roué Tiquétonné ». Nous étions abasourdis et avons dit pourquoi bien sûr. Une coïncidence qui ferait pâlir d’envie Paul Auster.
Le lendemain, nous avons visité deux autres villages parisiens. Le premier, nous l’avons fait en croisière sur un bateau, « l’Arletty », sur le canal Saint Martin. La croisière dure deux heures trente qui est un peu plus que le temps nécessaire pour passer les quatre doubles écluses qui permettent de rejoindre le canal d’Ourq à la Villette (on n’y tranche plus le lard puisque l’abattoir, dans le parc de la Villette, est devenu la Cité des sciences à côté de la Cité de la musique, parc dans lequel j’avais durant cinq mois installé avec sept ONG française, en 2001, l’expo du CIRE où nous avions accueilli septante cinq mille visiteurs.)
L’intérêt de la croisière est bien sûr le passage du canal souterrain d’un km huit cents et le passage de la première double écluse. A la deuxième double écluse, vous êtes bien mouillé et dans les deux dernières écluses, complètement blasés. Mais cela a un certain charme, surtout au passage devant l’hôtel du Nord, du même nom que le film de Marcel Carné qui y a été tourné, vous entendez les voix d’Arletty et de Jouvet bien sûr, « atmosphère, atmosphère, est-ce que j’ai une tête d’atmosphère ? ». Le canal de l’Ourq a été construit par Napoléon pour amener l’eau potable à tous les parisiens car jusque là, la bonne eau était réservée aux classes privilégiées. Pour financer ce canal de plus de cent kilomètres, Napoléon eut l’idée de taxer le vin, vendus dans l’enceinte du Paris d’alors dont ne faisait pas partie le village de La Villette. On dit depuis lors que c’est le vin qui a payé l’eau des parisiens. Mais, à La Villette, on cultivait la vigne qui produisait une piquette appelée guinguette. Les ouvriers parisiens prenaient le train à la gare d’Austerlitz pour aller boire ce vin, non taxé,  le dimanche, au bord de l’eau, d’où le nom de guinguette donné aux endroits où l’on buvait le guinguette.
Aujourd’hui, les guinguettes ont pratiquement disparus pour laisser place à l’asphalte et au béton.
Le départ du bateau est à 9h45 au « Port de l’Arsenal ».  Pour y aller, prenez la ligne cinq et descendez à Bastille, sorti du métro, vous y êtes. Si vous ne voulez pas d’une croisière, cela vaut la peine de parcourir les quatre à cinq km des chemins de halage du canal Saint Martin, (je ne suis pas sûr qu’on puisse aller à pieds dans le souterrain) d’admirer ses écluses et ses passerelles, de boire une bière dans un des bistrots qui le bordent en écoutant parler le « parigo ».
La rue des martyrs est un autre village, en dessous de Pigalle (prendre le métro Pigalle, ensuite parcourir cent mètres dans le boulevard Clichy et descendre la rue des Martyrs) Notre amie Nadia nous avait renseigné un restaurant bio, « le Rose Bakkery », au numéro 49. Très belle découverte. Le lieu est d’une simplicité totale, un petit bouiboui propret, l’ambiance y est aussi excellente, le restaurant magasin ne désemplit pas et le saumon bio, fumé, accompagné d’œufs brouillé que Marlène a choisi et accepté de partager avec moi, est divin. J’avais pris une assiette de légumes pas mal non plus, avec beaucoup de graines de couges, de tournesol et de pignons, mais pas aussi bonne que celle que nous servons à Como en casa. Nous avons fait connaissance avec un des patrons et avons oublié de lui demander où il se procurait ce saumon. La rue est remplie de commerces magnifiques, de caves à vin très bien achalandés, de boulangeries artisanales dont une, bio, où les pains et les tartes sont extraordinaires. Croyez-moi j’ai rarement vu d’aussi belles marchandises.
Nous nous y sommes promenés et avons ensuite traversé tout Paris à pieds, par le jardin des tuileries, en passant « curioser » aux magasins Lafayette et Printemps, d’où nous avons fuis les hordes de japonaises, pour gagner Saint Germain et nous offrir le luxe d’un verre à la brasserie les Deux Magots.
Le dernier jour, c’était dimanche, nous étions le 25 septembre et le thermomètre affichait 25 degrés. Mon téléphone, lui,  affichait bon anniversaire et notre flânerie était paradisiaque. Merci à vous pour vos messages. Marlène tenait à marquer le coup et m’a offert un plateau d’huîtres dans un bar spécialisé de Saint Germain. Elles n’étaient pas bonnes, elles étaient succulentes. Je n’ai pris que des numéros trois et les perles blanches (d’Aquitaine je crois) charnues, fraîches, servies sur un plateau refroidi à l’azote, qui fumait en son milieu.  On nous a fait payer cher le verre de Chablis mais, que voulez-vous, on n’a pas tous les jours soixante ans.
Les lieux « classiques » de Paris sont devenus impossibles à fréquenter, ce sont des milliers et des milliers de touristes qui s’y pressent et font la file. Heureusement, nous avions flâné de bonne heure le long de la Seine, à visiter les bouquinistes et y acheter un virux recueil d’Eluard et la première édition de monsieur Vertigo.
Nous sommes descendus du train venant de Paris et Bruxelles à vingt heures aux Guillemin. Yoann, le fils de Marlène, avait dressé une belle table, le champagne était au frais et nous avons frappé le gewurztraminer vendange tardive, acheté à Paris. Marlène avait préparé un morceau de saumon fumé avant notre départ. Elle avait acheté un filet de 400gr, elle l’a saupoudré très généreusement d’aneth et mis entre deux couches de deux cm de gros sel, couvert d’une planchette avec des poids dessus et demandé à Yoann de l’enlever du sel deux jours plus tard. Il était délicieux.
Yoann ne s’est pas contenté d’enlever le saumon du sel. Il a dépouillé une belle plante de basilic de ses feuilles, a mis celles-ci dans l’hachoir à légumes, avec un morceau de 75 gr de parmesan, plaque d’or, et une cuillère à soupe de pignons arrosant le tout de trois ou quatre cuillères d’huile d’olive. Les pennes furent cuites al dente, le pesto, non cuit, versé dessus et bien mélangé. Yoann a bien insisté pour que l’on sache qu’il ne mettait de sel ni dans la cuisson ni dans le pesto, qu’il fallait l’ajouter dans son assiette, un sel rouge de l’Himalaya, que cela relèverait le goût. J’ai mangé en fermant les yeux pour profiter du plaisir et ai pensé « quel bel anniversaire ».

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire