jeudi 29 mars 2012

Cachez-vous sous les bancs (3)


J’eus l’impression d’émerger par moment, je me sentais suspendu dans le vide, soutenu par des liens et des personnes paraissaient tourner autour de moi, harnachés comme des alpinistes. Je rêvais d’une descente en rappel le long d’une montagne. Je croyais que mon rêve de jeunesse, celui de grimper l’Annapurna, s’était enfin réalisé. J’entendais des murmures, des personnes qui parlaient entre elles, des voix d’homme me semblait-il.
Mais à d’autres moments, je plongeais dans le noir et le sommeil le plus absolus, n’ayant aucune conscience de ce qui pouvait se passer autour de moi. Parfois, je ré émergeais avec l’impression qu’on m’avait donné des coups, ou que mon corps avait été projeté contre une falaise ou contre un mur.
Quand je me réveillai, il me fallut plusieurs minutes pour reprendre conscience de ce que j’étais et de ce qui s’était passé. Je relevai la moitié de mon corps en paniquant, on m’avait endormi et enlevé, mais deux très vieilles femmes posèrent les mains sur moi, tentant de me rassurer « calmez vous, tout bien, nous occuper de vous… » Je n’avais aucunes possibilités de savoir combien de temps j’avais dormi. D’où venaient donc ces deux femmes que je n’avais jamais rencontrées ? Des tatouages parcouraient leur visage et leurs mains. Elles avaient la peau terriblement fripées, couvert de rides, les yeux très fins, presque fermés, le menton en galoche et la bouche edentée, les mains osseuses où se dessinaient de grosses veines. Elles me firent penser aux femmes d’Aquilano, qui tournaient autour de mon lit quand enfant, un furoncle énorme accompagné de fièvre m’avait cloué au lit plusieurs jours. Je retrouvais à cette évocation l’odeur infect des cataplasmes que chacune avait préparé à sa façon et m’appliquait qui sur le genou, qui sur le front.
Le local dans lequel je me trouvais à mon réveil, paraissait vaste, éclairé assez faiblement sans aucune lumière naturelle. J’étais allongé dans un sofa recouvert d’un drap blanc tout à fait propre. Je m’imaginais dans un espace non occupé près de l’hôpital de la Citadelle. A une dizaine de mètres se tenait un groupe de quelques personnes, échangeant entre eux tout en me jetant de temps en temps des coups d’œil furtifs. Trois ou quatre  étaient vêtus de salopette rouge-orange et harnachés comme des alpinistes. Comme dans mon rêve ? Qu’est-ce que tout cela voulait dire? Pourquoi m’avait-on endormi et amené là ? Qui? Que me voulait-on? Je m’adressais aux femmes, qu’est-ce que je fais ici ? Mais pour toutes réponses, elles continuaient à me dire « calme, tout  bien, pas de problèmes… » Un membre du groupe me regardait avec insistance. Il me semblait le connaître, avec son gros pardessus brun. C’est à lui que les autres s’adressait comme si de lui on attendait les consignes. Subitement, je me souvins de lui. Mais oui bien sûr, le tuberculeux, celui qui circulait dans les rues de Liège avec un masque médical sur la bouche et le nez ! A tout moment, il montrait de sa main gauche un papier A4 griffonné sur le quel on pouvait juste lire « tuberculeux » et dont on ne pouvait déchiffrer le reste, tout en tendant sa main droite. Il mendiait dans les rues de Liège et était entré à plusieurs reprises à Como en casa, place Saint Etienne. J’imagine qu’à l’époque, ma réaction avait été la même que tous les restaurateurs,  lui donner une pièce pour qu’il s’en aille au plus vite avant que son accoutrement et sa tuberculose fasse fuir les clients. Mais la dernière fois, il avait insisté, avec des yeux qui m’apparurent moqueurs, pour que je lui offre un verre d’eau. Il est vrai que nous étions en période de fortes chaleurs et qu’avec son pardessus, il transpirait à grosses gouttes qu’on aurait pu mettre sur le compte d’un état fiévreux du à sa tuberculose.
Du sofa, j’affrontais son regard, par provocation, il était temps en effet qu’on me donne une explication. Au bout d’un certain temps, il s’approcha, s’installa sur la chaise qu’une des femmes lui cédait
-             -Comment allez-vous, Mario ?
-          -Serais-je sensé aller bien ? Et vous vous êtes tuberculeux ou pas ? Pourquoi m’avez-vous enlever ?
-          -Je ne suis pas tuberculeux, me dit-il, c’était une astuce pour mendier et aussi pour qu’on ne me pose pas de question. Nous ne vous avons pas enlevé, souvenez vous, vous êtes entré de votre propre initiative dans le tunnel du Bloc 4.
-          - Mais enfin, on m’y a attiré, quatre personnes se sont jetées sur moi pour m’endormir ! Où suis-je et comment m’a-t-on emmené ici ?
-           -Vous n’avez aucune crainte à avoir, nous ne vous voulons pas de mal, nous vous considérons comme un ami.
-           -Drôle de façon de manifester votre amitié, me prenez-vous pour un demeuré ?
-         -Je comprends votre réaction, nous allons tout vous expliquer, dés que vous vous serez habillé. Ces deux charmantes dames ont lavé et repassé votre linge, elles vous offriront également de quoi manger et boire. Nous nous retrouverons dans une demi-heure.
De fait, mes vêtements étaient parfaitement propres et repassés. On m’offrit des beurrecks à la feta, absolument délicieux. J’en conclus que mes deux nounous venaient de Turquie ou du Kurdistan. La dernière fois que j’avais mangé des beurrecks aussi délicieux, c’était au Centre Culturel Kurde de Verviers et j’en avais longtemps gardé le souvenir.
Dés la fin de ce court repas, je retrouvais mon interlocuteur.
-             -Vous connaissez mon nom, mais je ne connais pas le vôtre.
-           -Oh, me répondit-il, on m’a tellement donné de noms au long de ma longue existence ! En Belgique, on m’appelle Eterno.
-           -Où sommes-nous, toujours dans les sous sols de la Citadelle.
-          -Non, nous sommes toujours dans les sous sols mais sous  la rue Hors château. Nous occupons ce qui était autrefois une areine de Liège.
-          -Une areine ?
-          -Oui, une galerie si vous voulez, de celles qui autrefois servait à emporter les eaux auxquelles les mineurs se trouvaient confrontées en creusant leur galerie. Les areines ont été remplacées par des égouts en bonne et dues forme mais toutes  n’ont pas été détruites et nous en avons assainies quelques unes. Nous vous avons descendus par Païenporte, un puit creusé par les mineurs au XIV ième siècle qui a à maintes reprises été comblé puis rouvert, qui a servi dans le passé à amener l’eau dans la citadelle, qui est aujourd’hui parfaitement asséché et géré par un club de spéléologue dans lequel nous avons quelques « amis ». Sachez qu’il est profond de 125 m et que votre descente jusqu’ici nécessitait toutes les précautions.
Je n’avais donc pas rêvé. Cette descente, les hommes harnachés, mon corps qui cognait contre les murs…Je sentis la colère monter à m’étouffer
-        -Mais vous êtes complètement fous ! vous m’avez enlevé, endormi et fait courir un énorme danger. Si vous vouliez me voir, il suffisait de me téléphoner !!
-         -Nous vous avons endormi car vous risquiez de nous brûler et de dévoiler notre présence à des travailleurs de l’hôpital. Ce que bien sûr, nous ne souhaitons pas. Nous occupons, depuis quelques années, les sous sols de Liège, Laissez moi vous raconter :
« Comme toutes les vieilles villes, Liège est une superposition de ruines, d’édifices non démolis, de souterrains dont les fonctions ont variés, y compris de souterrains récents que l’on a creusés pour un projet de métro pas très réfléchi. Mais la plupart des souterrains sont anciens, certains remontent au 17 ième siècle, comme le puits de Païenporte, les areines et nombre de puits houillers. La montagne de Pierreuse par exemple est un véritable gruyère et les abords de la gare du Palais regorgent de caves, corridors et salles très convenables. Vous savez, me dit Eterno, l’homme oublie très souvent sa propre histoire. Savez vous qu’au moyen âge, les riches, les nobles, les prêtres, les couvents, bref, tous les notables, s’assuraient très souvent de deux niveaux de caves. Il s’agissait de disposer de suffisamment d’espaces pour les réserves de nourritures et surtout pour faire face aux nombreuses guerres qui faisaient presque le quotidien de l’Europe. Où cacher les trésors tant convoités par ces guerriers ? Quand on a tant et tant démoli le centre de Liège pour faire place au béton, aux constructions modernes, et surtout pour permettre à un maximum de voitures d’accéder dans l’hyper centre ville, que de monuments, d’édifices détruits et effacés de la carte. Les abords de la gare du palais est le sommet dans l’art de la démolition. Tout devait disparaître. L’hôtel Notger comme le couvent et l’hopital des bons enfants et nombre de constructions néo classiques et d’hôtel de maîtres. Que croyez-vous, que l’ouvrier chargé de la démolition se préoccupait de savoir si, quand il avait comblé une cave, il y en avait d’autres en dessous? Souvenez-vous de la Roma de Fellini. Comment imaginer que le palais des  Prince évêques ne possédât pas ses sous sols, ses souterrains conduisant à la cathédrale mais aussi permettant de fuir si besoin en était? Nous sommes aujourd’hui les seuls à disposer d’un recensement complet des espaces disponibles dans le sous sol liégeois. »
-          -Nous ? Mais qui êtes-vous donc ? Pourquoi vous réfugiez dans ces catacombes ?
-          -Je suis Eterno. Il y a très longtemps, je vécu quelques années à Rome, on m’appelait Angelo, les italiens pensait que j’étais un ange. Les madrilènes à une autre époque m’appelaient Salvador, le sauveur. Aujourd’hui on m’appelle Eterno. Ne comprenez-vous pas ?
-          - C’est cela vous êtes éternel sans doute ?
-         - Ne vous moquez pas Mario. Vous doutez de notre existence ? Souvenez-vous du personnage de la Ligne Verte, Paul Edgecombe et sa souris. Souvenez-vous de l’homme en noir du Jeu de l’Ange. On a besoin d’homme éternel Mario, comment voulez-vous que se transmette l’histoire
-          -Mais que me voulez-vous ? Qu’ai-je à voir dans tout cela ?
-        -Vous allez comprendre. Je vous ai fait venir parce que j’ai besoin de vous. Nous avons trois problèmes que vous pouvez nous aider à résoudre. Avant de vous en parler, un de nos membres va vous faire visiter notre Liège souterraine. Pour commencer cette visite, je voudrais moi-même vous présenter quelqu’un, une petite fille  que nous avons recueilli et que vous pouvez nous aider à soigner.
Eterno m’entraîna vers une porte que je n’avais pas vue, avant de l’ouvrir il me dit « ne soyez pas étonner de son attitude, elle est due au terrible traumatisme qu’elle a subi. Quand il ouvrit la porte de ce qui paraissait être une petite pièce à vivre, je vis une petite fille africaine et fut immédiatement frappé par son énorme chevelure frisée et pourtant légère et les yeux immenses avec lesquels elle me regardait.
-         -Bonjour Darline, je te présente Mario, dit Eterno.

L’INSTITUTRICE ELLE NOUS A DIT QUE SI NOUS ENTENDIONS DE GRANDS BRUITS COMME DES EXPLOSIONS SI NOUS VOYIONS ENTRER DES HOMMES EN ARMES QUI CRIAIENT  S IL Y AVAIT BEAUCOUP DE BRUITS ET DE  CRIS  CACHEZ VOUS SOUS LES BANCS METTEZ VOS MAINS SUR VOS OREILLES ET FERMEZ LES YEUX NE REGARDEZ PAS N ECOUTEZ PAS NE VOUS RELEVEZ QUE QUAND IL NE SE PASSERA PLUS RIEN ALORS UN JOUR LES HOMMES ARMES SONT ARRIVES ET ONT FAIT BEAUCOUP DE BRUIT ALORS NOUS NOUS SOMMES CACHES SOUS LES BANCS NOUS AVONS FERMES LES YEUX ET MIS NOS MAINS SUR LES OREILLES QUAND NOUS NOUS SOMMES RELEVES LES HOMMES ETAIENT PARTIS TOUT ÉTAIT CASSE LES ENFANTS PLEURAIENT ET CRIAIENT ET NOUS AVONS VU L INSTITUTRICE COUCHEE PAR TERRE PLEINE DE SANG ON AVAIT COUPE SA GORGE ELLE ÉTAIT MORTE ET AVAIT LES YEUX GRANDS OUVERTS . MON GRAND PÈRE M AVAIT DIT SI DES HOMMES ARMES VIENNENT ET LUI FAISAIENT DU MAL IL NE FALLAIT PAS REGARDER ET IL FALLAIT FAIRE SEMBLANT DE NE PAS LE CONNAITRE QUAND JE SUIS SORTI DE LECOLE DES HOMMES ARMES FRAPPAIENT MON GRAND PÈRE JAI FAIT SEMBLANT DE NE PAS LE CONNAITRE ET ILS L ONT EMMENE AVEC EUX …

Elle avait débité cela sur un ton monocorde et sans respiration, je sorti précipitamment, j’avais les boyaux tordus ? je m’appuyai au mur, soutenu par mes deux vieilles et éclatais en sanglot.

Elle s’appelle Darline et vient de Guinée me dit l’homme au pardessus. Elle a onze ans.

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