jeudi 22 mars 2012

cachez-vous sous les bancs (2)


J’entends alors deux bruits très forts, deux bangs qui résonnent assez longtemps, que je n’ai aucun mal à identifier. Ce sont deux énormes portes qui se ferment, tellement lourdes que les vibrations se font sentir sous mes pieds. Je m’aperçois que mes mains et tous mes membres trembles, y compris les genoux, je sens déjà le froid et l’humidité qui me transperce, mais je sais pertinemment que c’est la peur qui m’envahit. J’ai envie de pleurer, d’hurler. J’y parviens avec difficulté tant ma gorge est serrée, à m’étouffer. Stupidement, je demande, avec la voix d’un enfant terrorisé « qui est là ? » Sans réponse bien entendu. J’ai de nouveau le sentiment d’être complètement ridicule, mais je parviens quand même à me maîtriser suffisamment pour dire d’une voix forte et en colère « assez joué, qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? De nouveau seul l’écho me répond.
Une enclume s’est posée sur ma poitrine, j’ai subitement peur d’une crise, il faut que je me ressaisisse, que je prenne l’initiative, je me suis avancé trop loin, je dois maintenant aller de l’avant. Je m’avance donc sur le chemin balisé de bougies. Elles ne m’éclairent que faiblement sur ma gauche, ma droite est faite de ténèbres, je pense qu’il y a un mur, mais je n’ose m’en approcher. Le sol devient pentu et glissant, de plus en plus pentu et glissant. Je suis tout à coup surpris par un envol, ce ne peut être un oiseau dans le noir. Une chauve souris, pensais-je. Une chauve souris, mon hantise. Malgré mon âge, deux choses me font peur dans le noir : une nuée de chauves-souris qui m’entoureraient, un monstre qui surgirait derrière moi. Or derrière moi, les bougies s’éteignent immédiatement après mon passage et désormais, plusieurs chauves souris, sans doute aussi paniquées que moi virevoltent dans tous les sens. J’essaye de courir, mais la boue est glissante, je m’étale alors que le sol est devenu un vrai toboggan sur lequel je glisse sur une distance qui me paraît être de 15 ou 20 mètres. J’arrive tout à coup dans une zone suffisamment éclairée pour me permettre de voir que je fonce vers un mur. Dans ma glissade, je réussis à mettre les deux pieds en avant, jambes pliées et à amortir le choc contre le mur. Malgré tout, je suis légèrement sonné et il me faut quelques temps pour me ressaisir, reprendre conscience de ce qui se passe. Mes vêtements sont trempés et boueux. Ma veste en peau est fichue. Je sens une puanteur m’envahir et je comprends aussitôt que j’ai marché et glissé dans ce qui devait être les excréments des chauves souris.
La clarté est très faible et semble provenir de ces petites ouvertures grillagées dans le mur, de meurtrières recouvertes de grilles. Je me dirige vers l’une d’entre elle et de l’autre côté, j’aperçois des murs blancs, carrelés, des armoires, des chariots de services, un peu comme des tables roulantes. C’est évident, ce sont les sous sols de l’hôpital de la citadelle. Ils n’ont pas l’air d’être fréquentés, sans doute le système domotique du bâtiment déclenche l’éclairage sur les deux ou trois niveaux de sous sols. C’est un faible éclairage mais quand même plus qu’un éclairage de secours. Ma vue s’y habitue et je vois que tout ce mobilier est poussiéreux, peu ou pas utilisé et que donc cette partie du sous sol est peu fréquentée. Je crois deviner ce qu’il en est. Lors de la construction du CHR, on a sans doute évité de combler toutes les cavités de l’ancienne caserne, on a préféré construire des murs, quelques ouvertures d’aération, sans doute quelques part une porte en tôle zinguée, permet une communication mais  indique « passage interdit » ou « réservés au service de sécurité », ou que sais-je encore. Mais l’espoir est trop grand et je dois saisir cette chance « Y a-t-il quelqu’un ? Eh, oh, vous êtes là ? » Cela raisonne mais je n’obtiens pas de réponse et je n’entends venir personne. Je me déplace le long du mur dans l’espoir d’y trouver une porte, de pouvoir y frapper du poing, de faire un boucan d’enfer impossible à ne pas entendre à un autre niveau.
En me déplaçant, e m’aperçois que le mur est fait de grands cadres, entourés de moulures et séparés l’un de l’autre de 50 cm. J’ai déjà parcouru au moins dix mètres et je ne vois pas la fin de ce mur. Il y a des peintures dans ces cadres, sont-ce des toiles ? J’observe d’un peu plus près, et je découvre qu’il s’agit de collage de journaux, surmontés d’un titre ! Non, ce n’est pas un titre. Le tableau devant lequel je suis, plus éclairé que d’autres grâce à la proximité d’une ouverture grillagée, est fait de journaux collés ou punaisés et plastifiés. Des journaux écrits en espagnols ! Le cadre, qui fait deux mètres d’hauteur et un mètre trente ou quarante de largeur est surmonté du nom ARGENTINE.
Les journaux ont pour titre Clarin , La Nacion, La Voz. Je ne suis pas un spécialiste de l’Argentine mais je reconnais sur les journaux les photos du dictateur Videla, de Peron, de Marradona beaucoup plus bas.
Je me déplace vers la gauche pour déchiffrer l’autre tableau voisin. Les ETATS UNIS. Je reconnais les titres New York times, Washington post. Je reconnais la photo de l’assassinat de Kennedy, une autre de Martin Luther King, Il y a une photo qui semble être tirée de la guerre de sécession ??
Le tableau suivant  est l’ITALIE, le suivant le Sénégal, ensuite vient le Brésil, l’Inde. Cela a l’air d’être installé sans ordre rationnel, ni par continent, ni par ordre alphabétique, ni par importance de la population. Qui a pu s’amuser à cela et qu’est-ce que cela peut vouloir dire. Je passe et repasse devant les tableaux. Le cadre italien, parle de Garibaldi, de Mussolini, de l’assassinat d’Aldo Moro. Et je crois commencer à comprendre, on a rassemblé là des unes des grands journaux des pays, unes qui reprennent les événements essentiels dans leur histoire. Mais oui, c’est cela Peron, marradona, Videla pour l’Argentine. Kennedy, la guerre de sécession pour les Etats Unis, Helder camara et Lula que j’ai reconnu sur les unes de La Folha ou correo Popular du Brésil, Sédar Senghor sur la une de L’Aurore sénégalais, Julius Nyerere sur le Dayli news de Tanzanie.  Je suis presque sûr que c’est de cela qu’il s’agit, une sorte d’exposition sur l’histoire des pays de la planète. Il doit bien y avoir une centaine de ces tableaux. Ce mur semble très long. Quelque chose  de plus m’intrigue pourtant : sur chaque Une, un article de bas de page, moins important donc, est entouré de rouge, encadré, à la manière de William Klein. On a voulu attiré l’attention sur ces articles. Pour le peu que je comprenne, ils font allusion à des mouvements sociaux, à des personnes arrêtées ?? Je ne saisis pas le sens mais à l’évidence, il y en a un.
Soudain, je m’aperçois qu’il y a des bouteilles au pied du tableau d’Italie devant lequel je suis. Je jette un œil à gauche et à droite et il y a des bouteilles couchées et empilées devant chacun des tableaux. Elles sont poussiéreuses et grasse. Impossible de voir ce qu’elles contiennent.  Un bouchon est posé sur chacune d’entre elles mais sans être tout à fait enfoncé. J’en ouvre une et découvre qu’y sont roulées des feuilles à l’intérieur. Je sors les papiers, ce sont des lettres manuscrites. Celle-ci s’intitule, « Questo e la mia storia » à droite un nom : Giovanni Nobile. Je lis, les mains tremblantes, continuant de me demander qui a eu cette idée, cette obstination à rassembler journaux et histoires d’individus. La lettre est écrite à la première personne et raconte l’enfance de l’auteur dans un village des Pouilles, on y retrouve les noms de ses parents, de ses nombreux frères et sœurs. Giovanni y égrène ses souvenirs d’enfance, bons et mauvais, il finit par expliquer pourquoi il a du quitter l’Italie, pour quoi et comment il est venu en Belgique, comment s’est passé son arrivée…Je retire d’autres feuilles de la bouteille, chacune raconte une histoire et il est évident que toutes ces personnes ont quitté l’Italie pour venir en Belgique. Je retourne vers Argentine, j’ouvre une bouteille et m’aperçois qu’il s’agit la aussi d’histoire semblable. Idem a à Sénégal. A Amérique, je m’aperçois, avec le peu de connaissance que j’ai de l’anglais qu’il s’agit de soldats américains venus se battre lors de la deuxième guerre mondiale. Je suis ébahi, émerveillé, j’en oublie les circonstances qui m’ont emmené là, j’en oublie presque le lieu où je suis et je ne me pose même pas la question de comment je vais en sortir. Je m’aperçois que de nouveau mes mains tremblent, non plus de peur mais d’émotion. L’émotion produite par ce que je viens de découvrir et surtout par le fait que quelqu’un  a passé sans doute des années à rassembler ce matériau, à le protéger, à l’exposer. Pour qui dans le fond ? Pourquoi exposer tout cela dans un lieu où personne ne vient et ne viendra jamais ? Je réalise tout à coup que l’on m’a attiré dans ce lieu, quelqu’un a voulu que je voie cette exposition. Ainsi, on ne me voulait pas de  mal mais on voulait me montrer ce trésor !! Je pense être un privilégié et crois tout à coup que je vis une aventure exaltante
Je tressaille tout à coup, un bruit de pas se fait entendre dans le corridor éclairé de l’hôpital. Quelqu’un s’approche, c’est évident. Mes doigts s’accrochent aux grilles, je suis fou de joie, je me prépare à crier mais deux individus, sortis de nulle part, surgissent sur ma droite, m’empoignent violemment et me plaquent au sol. Deux autres surgissent sur ma gauche, je veux crier mais une main écrase ma bouche, je vois un des hommes dont je ne distingue pas les traits sortir une seringue, on me découvre le ventre, j’ai beau me débattre, rien n’y fait, on me fait une piqûre dans le ventre, mes cris sont étouffés, mes jambes et mes bras sont entravés. Ils veulent ma mort. Mes yeux implorent pitié et doivent sans doute exprimer la terreur qui s’empare de moi. En quelques secondes ma vue se brouille, j’essaye de m’accrocher à la vie et n’ai que le temps de prendre conscience, une fraction de seconde, qu’on m’a anesthésié et que je sombre dans le sommeil le plus total.

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