mardi 25 septembre 2018

La petite fenêtre du deuxième étage 'billet de campagne N°3)



Je suis candidat sur la liste Vert Ardent aux élections communales à Liège, à la 49ème  place. J’étais en Espagne jusque la semaine dernière et avant d’entamer ma campagne sur le terrain, je voudrais vous raconter l’histoire dont m’a fait part Poldo, un cousin de Marlène. Vous pourriez vous demander ce qu’une histoire comme celle-là, qui s’est déroulée à plus de 1500 km d’ici, il y a près de 80 ans, vient faire dans une réflexion électorale ? Ceci : quelques jours après qu’elle me fut racontée, j’appris dans la presse belge l’existence du mouvement "Schild & Vrienden" (Bouclier et Amis) révélée par la VRT, mouvement  plus ou moins proche de la NVA et de son secrétaire d’Etat fétiche. Mouvement qui fait la part belle aux propos ouvertement racistes, antisémites, antiféministes. J’appris également la réunion du responsable du PP belge avec Salvini et Steve Banon, ancien conseiller de Trump. Ils veulent créer ensemble un grand mouvement populiste en Europe.
Vert Ardent entend développer, si les électeurs le porte au pouvoir, une démocratie plus directe et participative (vous pouvez prendre connaissance du programme complet de Vert Ardent sur son site internet : https://vertardent.be.) Ce point du programme me parait fort important. Il me parait indispensable que les responsables politiques entretiennent un lien permanent avec les citoyens et soient à leur écoute pour éviter l’emprise des démagogues et des ennemis de la démocratie.
Voici l’histoire. Ce n’est pas une fiction
« Qu’avais-je à m’obstiner à penser qu’ils l’avaient précipité du haut de la falaise dans le Nalon. Assis à la table de la salle à manger aménagée dans l’ancienne étable, nous voyions par la fenêtre du coin cuisine, l’autre côté de la vallée de Palomar. « On n’a jamais su où ils l’ont enterré » continuait Poldo en nous désignant de sa main la vallée, les coteaux faits de prairies, de bois et d’à-pics rocheux qui nous faisaient face.  Son émotion était perceptible, la nôtre aussi et pour ma part je ne me risquais plus à poser la moindre question. Ma gorge était serrée et je n’aurais pu aller au bout d’une phrase. Je tenais donc pour moi cette idée qu’ils l’avaient précipité du haut de la falaise qui plongeait à pic dans la rivière,  à cet endroit assez profonde. Et rien à faire pour me détacher de cette idée, de ce sentiment que Ramon et ses quatre compagnons avaient fini une balle dans la tête et avaient disparu dans les eaux noires du rio Nalon.
Poldo, de son vrai nom Léopoldo  Canedo Alvarez,  légèrement plus âgé que Marlène, le cousin préféré de la famille, souriant, séducteur, flambeur et sorteur, avait vécu une quinzaine d’années à Paris, d’où il venait régulièrement rendre visite avec son frère Emilio et leurs épouses respectives à la famille de Marlène installée à Bruxelles. Quand arrivaient les « parisiens », habillés de la dernière mode, avec toujours un cadeau pour chacun, c’était la fête. On coupait le jambon, on mettait sur le feu la plus grande casserole où l’on cuisait la « fabada » la plus riche qui soit, garnie qu’elle était de chorizo, morcilla, lacon maigre et gras à la fois. Le cidre et le vin coulaient à fond. La fête durait tout le WE. On tentait d’oublier le passé, la misère, le franquisme et la haine qu’il véhiculait.
Poldo était rentré en Espagne après la mort de Franco en 1975. Goya, sa femme, ne supportait plus son exil et voulait retrouver son Espagne, ses Asturies, ses montagnes verdoyantes, ses rivières, ses horreos, ses fêtes, l’élégance aristocratiques dont se paraient les femmes le dimanche, quand on laissait la besogne de côté pour se réunir entre amis autour d’immenses tablées couvertes de nappes blanches. A la sortie du franquisme, l’Espagne manquait de tout et par-dessus ce tout, des ouvriers spécialisés capables de construire l’économie. Comme réparateur TV, Poldo était des plus recherché : impossible de commercialiser les TV couleurs en Espagne sans techniciens pour les installer et les réparer.
Poldo et Goya s’installèrent à Palomar, de l’autre côté de la montagne qui la sépare de Puerto, le village de Marlène. Ils occupent en fait la maison du grand père de Poldo. On n’a pas touché à sa structure. C’est une maison robuste, aux murs épais. On a juste transformé l’étable en cuisine-salle à manger où trône une belle table en bois épais. La toute petite fenêtre du second, qui laisse juste passer un corps pas trop grand, est restée telle qu’elle était. C’est par cette petite fenêtre qu’avaient fui José le père de Poldo et Adelino, son oncle.
Trois individus s’étaient présentés ce jour-là. Inconnus dans la région. « Ils » voulaient José et Adelino. Le chef de famille de l’époque, le grand père de Poldo n’était ni communiste, ni socialiste. Plutôt une sorte de gentlemen Farmer, qui ne voulait que le bien autour de lui, qui aidait l’un ou l’autre dans le besoin. Mais il n’ignorait rien des engagements républicains de ses deux fils. « ils » l’ont menacé : « si ne dis pas où sont tes deux fils, nous t’emmenons à  Oviedo. « Ils » l’ont emmené avec quatre autres villageois. Aucun des cinq n’est jamais arrivé à Oviedo et bien sûr n’est jamais rentré chez lui. « On n’a jamais retrouvé leur corps. Mon grand-père Ramon est enterré quelques part là-bas » nous dit Poldo en nous désignant la fenêtre de la cuisine d’où l’on voit le versant opposé de la vallée.
José et Adelino avaient fui de justesse par la petite fenêtre du deuxième étage, celle qui donne sur la prairie à l’arrière, juste au-dessus de la roche sur laquelle est appuyée la maison. Adelino fut le premier à passer clandestinement en France. José fera 8 longues années de prison et rejoindra plus tard son frère.
Les asturiens sont ceux qui ont résisté jusqu’au bout au coup d’état de Franco. Ils le paieront très cher et très longtemps. Le régime persécutera la population asturienne jusqu’à la mort de Franco, arrêtant, tuant, poussant à l’exil ceux qui ne faisaient pas allégeance. Bien sûr dans cette résistance, les mineurs étaient le fer de lance.
Ce dernier 20 août, Poldo et Goya nous avaient invités, Marlène et moi avec Luis et Monsé, pour déguster les calamars dans leur encre préparés par Goya. Nous avions échangé les souvenirs de Paris, de Bruxelles et peu à peu la conversation avait glissé sur les souvenirs plus anciens, plus douloureux. Tout cela était parti d’une question sur cette fameuse petite fenêtre du deuxième étage. Je comprenais maintenant pourquoi on l’avait maintenue telle qu’à l’origine. En terminant son histoire, Poldo a répété « je ne sais toujours pas ce qu’ « ils » ont fait de son corps ». Il régnait un lourd silence autour de la table. Par la fenêtre de la cuisine, c’était la falaise de l’autre côté de la vallée qui occupait ma vision. J’ai imaginé le corps de Ramon Canedo Gonzalez tombant, les mains liées dans le dos, la tête trouée d’une balle au milieu du front.
J’ai pensé que le fascisme s’avance toujours à pas feutrés mais une fois au pouvoir, il devient bestial. Il libère la haine et les instincts les plus enfouis. Les milices les plus haineuses  s’organisent, se vengent de leurs échecs non pas en s’attaquant aux vrais responsables mais souvent aux plus faibles, aux boucs émissaires… aux juifs, aux chômeurs, aux militants, aux étrangers.
Nous n’y sommes pas encore me direz-vous ! Bien sûr que non. Mais en ce mois d’août, en Italie, un groupe s’est attaqué et a tué un africain avec pour seul prétexte qu’il était africain. En Belgique, on vient d’inaugurer un centre fermé spécial pour famille avec enfants. « ils »annoncent qu’ils vont construire d’autres centres fermés pour les migrants en transit, qu’ »on » leur confisquera leur GSM pour empêcher qu’ils communiquent avec leur famille… « Ils » veulent accélérer la dégressivité des allocations de chômage…  »Ils » disent qu’ils vont s’unir avec des Salvani, des Orban, des Banon et en finir enfin avec ces rêveurs qui affaiblissent notre race et notre culture en ouvrant leur porte à tous ces gueux venus d’ailleurs.

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