lundi 28 août 2017

Un dimanche à Molenbeek

J’ai demandé une gueuze, Marlène et Nadia ont chacune commandé un cava. Cela faisait un peu snob, avais-je pensé, de prendre un cava dans un café de ce genre à Molenbeek. D’autant plus que Nadia avait mis un chapeau vintage, genre bonnet de bain mais en tissu argenté. Le style de chapeau que portait Liz Taylor dans ses jeunes et belles années. Et Marlène avait, bien entendu, son élégance habituelle. En fait, tout s’est bien passé, les Molenbeekois étaient contents du côté original de ces visiteuses. Nous avons été très bien accueilli et avons pu échanger quelques propos avec deux ou trois des clients, simples, à l’accent bruxellois à couper au couteau mais charmants et heureux de vivre.
Nous étions, enfin, venus découvrir l’appartement que Nadia a loué et aménagé dans le quartier Candries, ayant tourné définitivement, après vingt ans, la page nantaise.  Mon Dieu, mon Dieu ! avais-je pensé quand elle m’avait annoncé cela il y a quelques mois. Molenbeek faisait la Une de l’actualité. Nul besoin de vous expliquer pourquoi. Donc ce dimanche matin, je m’étais abstenu de mettre ma montre (très belle mais très voyante avec son grand cadran rouge) et avais éliminé tout signe extérieur de richesses. J’avais conseillé à Marlène d’en faire autant, mais rien n’y fit. Sans sa montre, ses bagues et son collier, elle se sent nue. J’en avais pris mon parti : Bruxelles, c’est sa ville, sa jeunesse, elle s’y sent chez elle. Et ce ne sont pas les terroristes qui la feront changer d’avis.
Nous avons pris le train jusque la gare du midi, puis au sous-sol de cette immense cathédrale, le métro Simonis jusque Beekant et ensuite le bus 87 pour descendre à Candries. De nouveau, dans ce genre de transports, qui plus est, le jour du marché du Midi, sur la ligne vers Molenbeek, qui passe près de l’hyper coloré abattoir d’Anderlecht, nous découvrons ce Bruxelles cosmopolite que nous adorons. Certaines études la classe, avec 62% de la population née en dehors de la Belgique, deuxième ville la plus cosmopolite au monde après Dubai. Dans cette dernière, 82% de la population vient de l’étranger. Suivent ensuite Londres, New York, Toronto, Auckland avec de 37 à 47%. J’ai cette impression dans le bus et le métro, qu’avec les attentats qui se succèdent et n’ont pas l’air d’en finir, les gens, toutes nationalités confondues, manifestent une empathie et une attention aux autres inhabituelles. Je ne crois pas me tromper. Toujours est-il que le dépaysement est réel et que j’ai adoré ce petit voyage (deux heures) en transport en commun.
Candries est un des beaux quartiers de Molenbeek où se côtoient immeubles à appartements, petites maisons et quartiers villageois. Nadia habite un petit flat au septième étage d’un immeuble sur le boulevard Métaiwie. Son logement n’est pas très grand, juste ce qu’il faut pour une personne seule, avec toutes les commodités nécessaires. Le lieu est chaleureux, empli et décoré de meubles et d’objets accumulés au long de près de vingt années de « chine » dont Nadia a la passion.
Quand on sort du bâtiment, on se retrouve après cinquante mètres dans un village avec ses petits commerces discrets et conviviaux. Au carrefour de la rue des Béguines, de Potaerdegat et de korenbeek, il y a deux terrasses qui se font face : « Au bon coin » et « La Piccola Sicilia ». Une troisième terrasse (boulangerie, pâtisserie, épicerie fine et traiteur) est fermée le dimanche. Nous avons hésité un moment, mais le Bon Coin était le même que celui de Strépy ou que celui que j’avais vu  à Roubaix en juillet près de la « Condition Publique », je ne pouvais pas rater cela. Pensez : une gueuze au Bon Coin ! Des hommes, tous plus que bedonnants, qui se font la bise, qui vous disent bonjour sans vous connaître et qui, quand vous les accrochez – facile pour moi, toujours la même question : alors la vie est belle ? – vous font part de leur amour et leur fierté d’être Molenbeekois. « Mais les journalistes – surtout les français, vous n’êtes pas françaises hein mesdames ? En regardant Marlène et Nadia  - nous volent notre ville que ces cons ont baptisée Molanbecq au lieu de Molenbeek ! Trop difficile à prononcer pour eux hein ! »
J’aurais bien pris une autre gueuze mais cela nous aurait fait rater le train de 20 heures.
Mardi dernier j’ai fait du pain. Quel plaisir ! Mes fagots de bois de noisetier, de pommier et de cerisier, confectionnés en avril, sont à point. Mon four chauffe magnifiquement bien. Il a maintenant bien séché. Il ronronne. Je le sens bien.Pourquoi l’image qui me vient en tête est celui du sein d’une femme qu’on prend doucement au creux de la main ou d’une main qu’on pose et qui caresse un ventre rond. Mais vous vous rappelez, j’ai fait du béton, deux murets de support, une sole, du sable pour la voûte, un trou pour la cheminée…et non seulement cela tient mais cela fonctionne à merveille. J’en suis fier et fou de joie.
Ma pâte sur « polish » (mi levain, mi levure) était parfaitement réussie. J’étais nerveux bien sûr donc j’ai fait quelques petites erreurs : oublié de fermer le clapet de la cheminée et le clapet de la prise d’air (donc perte de chaleur), j’avais préparé ma lame de rasoir mais ai oublié de grigner les pains (on dit grigner car là où l’on fait des entailles, il y aura des petites croûtes plus cuites à grignoter : grigner - grignoter). Mais à part ces petits manques, c’était réussi : Ils étaient beaux, ronds et bruns. Ils faisaient toc, toc quand on les frappait du doigt. J’ai remarqué après coup que certains étaient cuits plus que d’autres, donc je devrai veiller à bien répartir les braises sur tout le four. La croûte du dessous était propre, signe que j’avais bien nettoyé la sole. Bien sûr, il y avait comme il se doit pour un pain cuit au feu de bois, deux ou trois petits grains de charbon accrochés à la croûte, juste ce qu’il faut.
Fin de journée, j’ai relancé le feu pour des pizzas. Marlène avait placé la barre très haut. Elle voulait des pizzas fines et croustillantes comme à « I Marmi » de Rome. Eh bien, même si j’ai eu quelques difficultés d’enfournements faute d’une pelle adéquate, elles étaient fines, croustillantes, une ou deux biscornues dans leur forme mais toutes délicieuses malgré tout.
Preuve que mon four est parfaitement fonctionnel : le lendemain, il affichait encore 100 degrés et les braises que j’y avais laissées étaient réduites à l’état d’une magnifique cendre blanche. Pas un morceau de bois n’avait survécu. J’ai distribué les pains à quelques voisins mais nous en avons dégusté deux durant toute la semaine. Ils se conservent très bien et gardent leur saveur très légèrement fumée jusqu’au bout. Un voisin, de retour de vacances dans les Cinque Terre m’a dit : « nous l’avons dégusté comme en Toscane, avec juste un filet d’huile d’olive ». Je crois bien remettre cela ce mardi.
Mais je pense que Gene, Loly, Jasmine et d’autres risquent de se fâcher en attendant mes ateliers de formation pain. Je me rends compte que je ne pourrai pas le faire dans mon petit fournil. Trop petit. La bonne grandeur pour travailler seul, mais à deux ou trois on va se marcher sur les pieds. Puis il y a quand même ce côté « charbonnier » dans la cuisson au feu de bois, un peu machiniste de train à vapeur. Pas facile. Bref, j’ai une idée de l’endroit où je vais faire ces ateliers et je vous en parle bien vite. Promis, juré

Allei, à très vite.

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