lundi 5 juin 2017

Les passantes

J’ai évidemment peu à peu créé une relation amicale avec « la femme à la voix rauque ». Nous avons parlé ensemble à différentes reprises. J’ai ainsi appris à la connaître. Son nom est Marta, elle est andalouse d’origine et a vécu assez longtemps en catalogne (Barcelone). Sûr qu’elle a une ascendance gitane. Elle est vice-présidente de l’association de quartier de la vieille ville que l’on nomme aussi village mauresque (mais ce dernier qualificatif a été créé par les bobos anglais - ils disent morrish homes - pour se donner de l’originalité) ou que l’on nommait, lors de mes premières visites il y a vingt ans, le quartier des gitans. Aujourd’hui, s’il reste pas mal de gitans, beaucoup ont quitté le quartier fuyant leur logement insalubre. Les européens du nord - français, hollandais, allemands, anglais, scandinaves, belges – ont peu à peu pris leur place en achetant les maisons pour une bouchée de pain et, bien sûr, « boboïsent » ou « gentrifient » le lieu. J’ai présenté  Marlène et ma belle-sœur Bégonia à Marta. Nous allons assez souvent prendre le dernier verre du soir chez elle. Elle répond volontiers à nos questions et nous transmet une partie de la mémoire de la ville. « Nous voulons animer ce quartier mais éviter d’en faire un autre « Altéa » (sorte de Durbuy local situé à 10 km plus au nord) nous dit-elle. Ma perception et mes sentiments envers Marta ont changé depuis que je la fréquente au quotidien. Elle devient pour moi une tenancière, certes sympathique et charismatique et à laquelle je tiens beaucoup, mais elle a perdu le côté mystérieux ou mythique que j’avais construit autour de son personnage avant de la connaître et de la fréquenter au quotidien.  « La femme à la voix rauque » a cédé la place à Marta. Je n’en suis ni déçu ni content, je constate simplement. N’en est-il pas toujours ainsi de nos nouvelles rencontres et fréquentations ?
Nous sommes tombés lors d’une de nos déambulations dans les ruelles sur un « repas de voisins ». Cinquante couverts étaient dressés sur de longues tables nappées de blanc. Chacun apportait une préparation de son choix pour étoffer le buffet.
Comment ai-je pu oublier de mentionner Léona en vous citant le nom des barques de pêcheurs. « Ma » Léona à moi, c’était cette femme de Strépy, qui nous faisait de grosses tartines au beurre salé quand, enfants,  nous rentrions avec Taf, son mari, de la cueillette de champignons (voir mes chroniques de 2011).
Je n’ai découvert que la semaine dernière que La barque Noellia portait aussi un deuxième nom : Jeronimo.
Hier, au cimetière, j’ai lu sur la tombe d’une femme le prénom « Expectation »  (le nom de famille était Rodriguez-Rodriguez).
Nous avons, alors que nous prenions un verre à la Placeta (c’est le nom du bistrot de Marta) assisté par hasard à une réunion du comité de quartier. A vue de nez, deux tiers de l’assistance étaient composés de « blancs », un tiers d’espagnols et il y avait juste une gitane. L’animateur était espagnol et la langue employée était obligatoirement l’espagnol (le castillan est en fait le nom exact de la langue). La boisson était le vin (ben oui).
La ville est séparée en deux par un ravin (« una rambla ») qui fait entre cinquante et à certains endroits jusque plus de cent mètres entre une rive et l’autre. Il divise « El casco antiguo » (la vieille ville) en deux.  Mais 75% du quartier se trouve sur la rive nord. Les 25% restant, au sud, valent la peine d’être visité d’autant que la rue la plus fleurie de la ville s’y trouve. La rivière, au beau nom d’Amadorio, qui a creusé la rambla, coule toujours 25 m plus bas - et cette année elle est bien gonflée – et après avoir rempli « el pantano » - le barrage – quatre km à l’intérieur des terres, elle se jette à la mer. On a aménagé un magnifique parc dans le ravin et sur ses parois avec terrasses, sentiers de promenade, bancs, fleurs, arbres, escaliers, parcours santé…  L’appartement d’Ines est juste au bord sud de la rambla, J’y descends chaque jour, j’y traîne, je le nomme  Central Park.
Les maisons de la vieille ville sont colorées à la chaux : bleu, bordeaux, rouge, vert, jaune, blanc…Cette tradition date de l’époque où l’on vivait de la pêche et cela permettait aux pêcheurs de voir leur maison de loin quand ils rentraient.
Depuis quelques jours, j’ai doublé ma marche matinale. Je pars vers 6 h 15 ou 6 h 30 et j’arrive à la Maja où je prends mon café et une vichy catalan vers 9 h ou 9h 15. Durant ma marche je rencontre presque toujours les mêmes personnes, on finit par se connaître et on se dit bonjour. Certains disent  « buen dia », d’autres  emploient le pluriel « buenos dias », manière de souhaiter le bonjour pour de longues années. Certains disent simplement « hola ». Une maison donnant face à la mer a pour nom Hola Ola (Ola c’est la vague. Donc Hola ola c’est bonjour la vague).
Il y a au bas de la vieille ville un premier étage avec deux portes fenêtres donnant sur la plage. La jeune femme qui y habite doit avoir entre 30 ou 35 ans. Elle a des cheveux blonds-roux légèrement frisés qui lui tombent sur les épaules. Son lit est posé contre la porte fenêtre gauche, je l’ai vue un matin vêtue juste d’une chemise à carreaux qui laissait voir ses jambes, refaire le lit et balayer autour. J’ai pensé aux passantes de Brassens « à celle qu’on voit apparaître une seconde à sa fenêtre… »   A la porte fenêtre de droite est posée une table ronde recouverte d’une nappe blanche entourée de deux chaises au tissu rayé. On l’y imagine prendre son café en regardant la mer. Dimanche dernier, à 8 heures, la porte fenêtre de gauche était grande ouverte, la jeune femme n’était pas levée ou alors s’était recouchée. On voyait ses belles jambes brunes (« de longues jambes de faon », aurait dit Aragon) étendues sur le lit. Le lundi elle baladait son chien sur la longue promenade de mer. J’ai été tellement pris au dépourvu en la rencontrant que je n’ai pu que lui souhaiter un « buen dia » auquel elle a répondu en souriant comme pour se moquer de moi. Elle me parut plus petite que dans mon souvenir. L’après-midi, elle avait mis son linge à sécher, j’y ai reconnu la fameuse chemise à carreaux de la première fois. Mais il y avait debout près de la table à l’autre fenêtre, une grande et fine jeune femme aux cheveux blonds magnifiquement coupés à hauteur du cou. Bon sang, les longues jambes de faon,  c’était les siennes bien sûr ! Leur comportement ne laissait aucun doute quant à leur relation.  Depuis, je les vois souvent prendre le petit déjeuner assises sur les chaises au tissu à rayures.
Pffft ! Sigues sonando Mario. (Tu rêves encore Mario)

Allei, lundi prochain je vous écris de Liège

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