mercredi 18 mars 2015

Une nuit dans un bordel des Cayes en Haïti


Gabriel, le haïtien qui nous servait de guide, avait négocié nos deux places à Edouard et moi dans un gros Tap Tap en partance pour Les Cayes. Lui-même en profiterait pour rendre visite à sa famille à Léogane d’où il était originaire et qui se trouvait à quelques km de Port au Prince en direction de les Cayes. Comme tous les taxis collectifs qu’on appelait Tap Tap, notre camion était coloré à souhait et les banquettes à l’intérieur en simili plus ou confortable. Il avait pour nom : « Jésus est bon ».  Nous eûmes encore à attendre une heure avant qu’il ne démarre. Quelques rabatteurs tentaient de trouver d’autres passagers qui allaient occuper les quelques places restantes libres ou s’asseoir dans l’allée centrale. Et les passagers déjà présents, qui pour beaucoup étaient des cayens venus faire provision de marchandises à revendre aux Cayes, avaient attachés des sacs en tous genres sur près de deux mètres d’hauteur sur le toit du camion, d’autres attachaient au porte bagage, par leur pattes, des chèvres et des poules qui pendouillaient la tête vers le bas, vivants et dont on entendrait les cris plaintifs durant les cinq heures que durerait le voyage.
J’en étais à mon troisième voyage en Haïti, j’avais visité toutes les provinces sauf la région des Cayes et de Jérémie. Je travaillais pour l’ONG Solidarité Mondiale qui soutenait un syndicat clandestin, la CATH (Centrale Autonome des Travailleurs Haïtiens) qui s’opposait ouvertement à Duvalier et avait à plusieurs reprises, malgré son jeune âge, défié ouvertement le régime, par des grèves et des manifestations surprises semant le désordre et la panique durant  des cérémonies officielles.
Edouard, prêtre ouvrier oblat, proche de la soixantaine, m’accompagnait depuis la Belgique. J’avais une certaine habitude des déplacements en Tap Tap, jamais très confortable, toujours assis les uns sur les autres, avec les vitres grandes ouvertes, qui laissait entrés à la fois l’air chaud et à la fois la poussière que soulevaient les autres véhicules. J’avais trente ans, une folle envie d’aventures et de découvertes, j’ignorais la peur et au contraire le danger, la clandestinité m’excitaient. Je voyageais à l’intérieur d’Haïti, en jean, baskets, t-shirt et à peine un petit sac en tissu contenant le strict minimum. J’avais dans une poche avant, mon passeport et dans l’autre les dollars et des gourdes haïtiennes. En Haïti, un programme est fait pour ne pas être respecté. Les aléas des déplacements forçaient à la souplesse et il m’était arrivé plus d’une fois de rester bloqué deux ou trois jours non prévus, que ce soit à Jacmel, au Plateau Central dans les environs de  Hinche ou à Ouanaminthe.
J’adorais les haïtiens et les haïtiennes dont je disais qu’elles étaient les plus belles filles du monde. J’étais réellement comme un poisson dans l’eau et à l’aise partout. La souffrance des gens, surtout de ces femmes qui devaient tout assurés, tout assumés, me bouleversaient terriblement. Aujourd’hui, Haïti est encore plus dévasté qu’elle ne l’était à l’époque pourtant déjà très difficile. La misère a fini par faire de ce pays une plaque tournante de beaucoup de trafics et si à l’époque les tontons macoutes assuraient leur part de terreur et de violence, vous pouviez, même comme blanc, vous balader dans n’importe quel quartier sans vous sentir en insécurité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui où c’est toute la société haïtienne qui est traversée par la peur.
Bon, notre déplacement vers Les Cayes fut gai et fatiguant. J’avais, assise sur mes genoux, à la demande de Gabriel,  une jolie jeune fille toute fraîche, à la poitrine bien ferme. Elle rentrait aussi à Léogane et Gabriel la connaissant lui avait trouvé une place et lui avait dit assieds-toi sur les genoux du blanc chérie, il ne te fera rien.
J’adore les stations de Tap tap où dès l’arrêt on est assaillis de vendeurs et vendeuses qui vous proposent poissons et bananes frites, poissons séchés, bonbons de toutes sortes, boissons au sirop. J’adorais entendre ces femmes, qui avaient fait durant des heures la file à la fontaine pour venir nous proposer de l’eau fraîche en criant « marchand dlo » « marchand dlo ». Leur eau m’était évidemment interdite mais rien ne m’interdisait de leur donner quelques gourdes (monnaie haïtienne) qui soulagerait peut être leur faim ou celle de leur enfant.
Nous arrivâmes aux Cayes (Je n’arrive pas à dire ou écrire « à Les Cayes ») vers 19 heures sur la seule station de Tap tap de la ville située sur une esplanade poussiéreuse entourée de toutes sortes de petits commerces et de restaurants. Tiens, si nous allions manger dans celui-là, me dit Edouard, les haïtiens adorent les couleurs, c’est pour cela que les néons sont bleutés et rosé ajoute t’il.
L’odeur du ragoût de chèvre m’apparut douteux et je me contentais de manger le ris aux haricots qui l’accompagnait. Edouard avala le tout sans hésitations. Il allait le payer le lendemain et obliger le tap tap du retour à de nombreux arrêts pour lui permettre d’aller se soulager dans les buissons bordant la route.

Nous décidâmes de réserver deux chambres dans ce même endroit, sans prendre la précaution d’aller vérifier leur état. Nous avions un RDV clandestin assez difficile et l’état de la chambre nous importait peu.
Quand nous rentrâmes vers les 23h, nous gagnâmes l’étage et dûmes nous frayer un passage au milieu de jeunes femmes haïtiennes et porto-ricaines qui n’hésitaient pas à nous caresser qui les cheveux, qui l’entre jambe, nous faisant les propositions les plus claires qui soient, nous tirant par le bras. Je sais, vous ne me croirez pas. Mais j’avais une terreur du sida dont on parlait déjà à l’époque et dont la revue Actuel disait qu’il était né à Haïti. Ce qui plus tard s’avéra faux.
Je réussis à gagner ma chambre qui s’avéra être une alcôve, heureusement avec un verrou sur la porte, mais avec juste un bassin d’eau, un essuie aux couleurs douteuse et pas de…plafond. On entendait tout ce qui se passait autour, dans les autres alcôves : les rires, les voix basses, les soupirs, les couinements et les petits cris. Je crois que j’ai fini par m’endormir vers les quatre heures du matin.

Le matin, le bassin d’eau était recouvert de mouches mortes que je dus écarter pour pouvoir me rafraîchir un peu le visage à l’eau. Au petit déjeuner, je trouvais un Edouard complètement défait, il avait dû gagner les toilettes plusieurs fois la nuit en passant au milieu des groupes de filles qui occupaient le corridor. Avant de prendre le tap tap du retour, je lui dis « la prochaine fois Edouard, méfies-toi du goût des haïtiens pour les éclairages colorés »

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