J’ai commencé à faire
du vélo en mars - rappelez-vous, nous avons eu du très beau temps en mars,
avril, mai et juin – et j’en fais maintenant régulièrement, parfois tous les
jours et si pas, au moins trois ou quatre fois par semaine. Je fais le plus
souvent le même circuit de 26 km (j’ai acheté un petit compteur kilométrique)
mais parfois, je fais plus : 35 km ou bien, je vais à Maastricht ou à Comblain au Pont,
soit une septantaine de kilomètre. C’est de mon circuit de 26 km dont je veux
vous parler. J’ai acheté un vélo d’occasion, simple vélo de route de la marque
Peugeot. J’ai juste changé le guidon pour en mettre un « en huit »
qui permet de choisir entre deux positions : la sportive avec les mains
sur la partie basse ou la ballade avec les mains sur la partie haute, comme sur
un vélo hollandais et qui permet de se reposer.
Je ne prétends pas être fort, je crois même que je ne le
suis pas, c’est pour cela que je préfère rouler seul, cela me permet de rouler
à mon rythme. Mais je me suis fixé comme principe de ne jamais faire moins que ce que j’ai décidé en
partant, mais par contre je peux faire plus. Une autre exigence que je me suis
fixée est de ne jamais mettre pied à terre sauf contrainte absolue : une
voiture qui ne me cède pas le passage ou comme cela m’est arrivé dimanche, une
quinte de toux qui m’a forcé à m’arrêter. J’avais, je crois, aspirer des
mouchettes. A ce propos, il faut faire attention à rouler la bouche fermée,
surtout à certains endroits : près d’une ferme devant laquelle se trouve
un tas de fumier, près d’une prairie sur laquelle paissent des moutons, des
poules, des canards et des oies, prairie qui devient un objectif de promenade
pour les enfants qui amènent avec eux déchets de pains et de pomme de terre.
Mais il y a des jours où il y a plus d’insectes qu’à d’autres, ainsi par le
beau temps de la semaine dernière.
Je roule en regardant tout ce qui se passe autour de moi, en
essayant de mémoriser un maximum et ainsi, à chacune de mes sorties, je vois
des changements. Ainsi dimanche, j’ai vu de suite qu’on avait récolté le champ
de maïs de la rue de l’Arbre Sainte Barbe, mais je vois aussi que telle maison
où vivait un couple et un enfant est aujourd’hui à vendre, que le monsieur qui
a commencé à carreler de chutes de pierres bleues son chemin carrossable a
presque fini, que tel chantier de construction a bien avancé, etc.
Il y a quatre ou cinq personnes que je vois très souvent et
à qui je dis bonjour : à Jeannot mon voisin d’en face qui bricole toujours
quelque chose dans son petit jardinet à rue, à une dame qui semble fort malade et
qui est très souvent assise sur une chaise devant chez elle. Je m’inquiète d’ailleurs
quand je ne la vois pas. A un vieux monsieur qui est toujours assis dans son
garage au fond de sa petite propriété sur le côté de sa maison et qui semble
regarder passer les voitures toute la journée, un autre monsieur qui tond sa
pelouse deux ou trois fois par semaine et qui pourtant semble avoir beaucoup de
mal à le faire à cause de son embonpoint et enfin le monsieur qui carrelle son
passage. Il y a des personnes que je vois pour la première fois et que je ne
revois plus, peut être les reverrais-je un jour. Il y a une dame qui faisait
des allers retours sur le Ravel, que j’ai vue trois ou quatre fois et puis qui
a disparu. De la circulation, c’est le cas de le dire.
Je roule sur du macadam ou du béton. Parfois c’est bien
lisse mais parfois c’est cabossé. Au début, je faisais cinq km, puis sept, puis
quinze et ainsi, de plus en plus. Je ne roulais que tous les deux ou trois
jours car la selle me faisait mal. Aujourd’hui, je n’ai plus de problème ni d’endurance,
ni de selle sauf sur certains tronçons hyper cabossés.
Je quitte ma rue en entrant dans le clos Hesbignon, qui est
un nouveau lotissement. On y a construit 56 maisons-villas, classiques mais pas
mal et la plupart sont grandes, spacieuses, ont des tas de fenêtres et je crois
qu’il fait bon y être. Elles sont habitées par une majorité de familles d’origine
immigrées, italiennes, turques, marocaines, avec deux, trois, quatre enfants
qui déjà ont fait connaissance entre eux, passent d’un jardin à l’autre et
jouent ensemble sur la rue ou assis sur les bancs nombreux à cet endroit. Les
livings sont très grands, les cuisines sont bien équipées et il semble y avoir
pas mal de chambres. J’ai vu tout cela ces derniers temps car le soleil permet
d’ouvrir grand, portes et fenêtres. Ce doit être des ouvriers spécialisés qui y
habitent ou travaillant dans des secteurs durs et en manque de main d’œuvre où
l’on gagne bien sa vie : bâtiments, ramassage des immondices… Je dis cela
mais c’est moi qui m’imagine. Au facies. La plupart sont propriétaires. Bon
quoi qu’il en soit, je suis bien content
pour eux.
Je quitte le clos pour prendre la rue de l’Arbre Sainte
Barbe en direction de Liers. La rue de l’Arbre Sainte Barbe est située sur la
ligne de crête qui sépare la vallée de la Meuse de la vallée du Geer. C’est
dans cette zone qu’a eu lieu dans le début du 18 ième la bataille décisive qui
opposait les troupes françaises aux troupes autrichiennes qui ont perdu. Il y
avait là à une époque une chapelle dédiée à Sainte Barbe, patron des mineurs et
des tailleurs de pierre, entre autres.
Aujourd’hui il y reste un tout petit sanctuaire en bois,
fort vétuste, dédié à « Notre Dame des pauvres », il y a un peu plus
loin un calvaire très sombre avec le Christ en croix. Les deux semblent
entretenus mais les fleurs qui les garnissent sont en plastiques et les mêmes
depuis que j’y passe. C’est entre ces deux petites chapelles qu’est assise la
dame qui semble bien malade et qui paraît contente que je la salue chaque jour.
Elle me regarde arriver de loin et elle me suit du regard après mon passage. Son
petit chien me court après quand je repasse car là je suis en côte et il peut
me suivre en aboyant pendant cinq mètres. A l’aller, il aboi mais n’essaye pas
de me suivre. Plus loin, à Voroux, se croisent la rue du cimetière et la rue de
la Renaissance. Les plaques les indiquant sont placées côte à côte et j’en ai
fait une photo. Le numéro 1 de la rue de la Renaissance est un petit château
dont j’aime voir l’entrée quand le portail est ouvert. Il y a une grande
fontaine au milieu de la cour et cela me fait toujours penser à un roman de
Montalban dont j’ai oublié le titre et qui se passe dans une propriété près de
Barcelone, dont la description correspond à ce petit château. La rue de la
Renaissance est prolongée par la vieille voie de Tongres (qui commence en fait
à Sainte Walburge, est suspendue sur Rocourt et ne reprend qu’à Liers. Si je ne
me trompe). La vieille voie de Tongres dit bien ce qu’elle veut dire, elle me
conduit sur le Ravel 31 et au-delà du Ravel, elle continue mais est faite de terre battue et de gravier.
Je prends le Ravel vers la droite, il s’interrompt après
cinq cent mètres, je vais par la route vers la gare de Liers et je traverse la
voie ferrée par en-dessous. Il faut bien préparer le petit braquet car on monte
et descend et remonte des pentes courtes mais abruptes. Si vous n’avez pas mis
le petit braquet, il vous faut quelques minutes pour retrouver votre souffle.
Il se passe plein de choses sur ce Ravel qui va en fait de Liers à Ans. Il fait
presque Six km mais il nous faut traverser six routes à circulation automobile
dont la chaussée de Tongres. Ce dernier dimanche, il y avait un monde fou. Un
groupe composé de deux hommes, deux femmes et trois enfants. Je les ai croisés à l’aller et au retour. Au
retour, les hommes et les enfants étaient à l’arrêt et attendaient les deux
femmes qui peinaient à 150m. Un homme m’a dit « les femmes ont du mal
quand ça grimpe ». En passant à hauteur des femmes, je leur ai dit que là
bas on se moquait d’elles. OOOOH ! Ai-je entendu. Je les ai nommés, en
moi-même, les Barakis. Pour moi Barakis n’est pas un terme péjoratif, je les
nomme Barakis pour les distinguer des gens normaux, et j’appelle normal ce qui
en fait est banal et j’aime ce qui n’est pas banal. Depuis que j’ai lu « La Merditude des
choses », de Thierry Verhulst, à haute voix pour Paco quelques semaines
avant sa mort, je respecte encore plus les barakis. Paco avait fort apprécié cette
lecture. La dernière à laquelle il a eu droit. Il a vécu dix ans dans les marolles
et les personnages du livre lui rappelaient certains marolliens.
Il y avait aussi des tas de couples avec ou sans enfants,
des piétons et des cyclistes. Je croise beaucoup de cyclistes qui portent
casques, lunettes, collants spéciaux et
vareuses de cyclistes. Ces vareuses sont toujours très colorées, certaines aux
couleurs du drapeau belge, d’autres aux couleurs du drapeau italien, d’autres
avec des couleurs qui n’ont rien à voir avec des drapeaux. Ils ont tous l’allure de coureurs
professionnels. Malgré tout, on se salue alors que moi, je suis souvent habillé
d’un short usé qui a plus de vingt ans, dont la couleur a été jaune et de polos
sans allures.
Le Ravel est aussi un lieu de vie. Ainsi, hier lundi, j’ai
vu une femme, quarante ans ? A pieds, à l’arrêt, appuyée à la clôture et
parlant au téléphone. J’ai entendu une bribe en passant…on
ne se verra pas avant
samedi… Quand je suis repassé après
quarante minutes elle s’était un peu déplacée mais toujours au téléphone…je crois qu’il se doute…
Je me suis construit toute une histoire sur cette femme, l’imaginant annoncé à
son mari « je pars faire ma promenade », et pouvoir ainsi téléphoner
à son amant. Ce sont des périodes de vie qui sont à la fois triste et à la fois
exaltante. La tristesse d’une séparation, d’une histoire qui finit, l’exaltation
d’un amour naissant, de « l’inamoramento » disait Alberoni
Je vais alors jusque Fexhe Slins, dont je fais le tour. Pour
y arriver, je prends un Ravel qui s’interrompt aussi deux fois pour permettre
aux voitures de rejoindre les maisons qui le bordent. C’est là que le monsieur
carrelle son passage et que l’autre monsieur tond sa pelouse en ahanant comme
un bleu, blanc, belge. On entre dans le village par la rue Labye. Je ne sais pas à quoi cela fait référence, à une
personnalité sans doute, mais si on mettait un I à la place du A, cela ferait
Lybie. Et ainsi quand j’y passe, je pense souvent aux révolutions arabes, puis
dans la rue Toussaint où je salue Luc en pensée et puis dans la rue « Fosse
Botton », du moins le croyais-je au début. Et bien sûr, je m’étais imaginé
qu’il y avait là, un jour, une mine (la fosse) appelée Botton. Mais à l’autre
bout de la rue, la plaque est intacte et je me suis aperçu bien longtemps après
qu’il s’agissait de « Fossé Botton » et là non plus je ne sais pas à
quoi cela fait référence. Dans la rue Fossé Botton, il y a une »La
Farnientane, maison de repos ». De fait, on pourrait dire que Farnientane
est la maison du farniente, manière de consoler les vieux qui y sont placés.
C’est là que je fais demi-tour et refait les deux Ravels
jusque la gare d’Ans, ensuite je reviens jusque Liers et ensuite trois km
jusque la maison. Souvent, à l’aller j’ai le vent de face et au retour le vent
dans le dos. J’adore cette heure trente sur mon vélo, je ne me vide pas le
cerveau, au contraire, je pense, je réfléchis, je me construis des histoires
sur les choses que je vois, sur les gens que je rencontre. Un voyage intérieur
parmi tout un monde qui vit, qui rit, qui pleure, qui meurt…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire