Nous voilà rentrés d’Alicante,
juste le temps de faire de petites courses pour le réveillon de Noël, que nous
avons voulu très calme. Le lendemain de l’envoi de ma dernière chronique, le
soleil est réapparu sur la Costa Blanca. Juste ce qu’il fallait d’abord pour dissiper
les nuages, rehausser la température et me permettre de faire ma promenade du
matin. Le changement était incroyable, les rues étaient d’une propreté rare
puisque tout avait été emporté vers le bas du village c’est-à-dire en bord de
plage. Le petit ruisseau au fonds du
ravin près du centre historique est devenu une rivière où des dizaines de
canards s’en donnent à cœur joie. Seule la plage porte les stigmates du
déchaînement des jours précédents : détritus de toutes sortes jonchent la
promenade et le sable. Mais déjà les balayeurs de rue sont au rendez-vous, ils
travaillent en courant comme si leur survie en dépendait. En fait tout doit
être fait pour que la ville soit agréable. Noël est sacré en Espagne, rares
seront ceux qui travailleront les derniers jours et sans doute les balayeurs
veulent-ils en finir au plus vite.
Le mercredi, la température
atteignait 24 degrés et nous mangions en terrasse (ce fut le cas tous les jours
suivants). Le jour de notre départ le thermomètre affichait 28 degrés
Nous avons vécus deux moments assez
exceptionnels. D’abord le jeudi soir, nous avons été au port vers 17 h, juste
pour le retour des bateaux de pêches. Nous voyions ces marins harassés de
fatigue nous expliquant être en mer depuis 5 heures le matin, sortir le fruit
de leur pêche (c’est un des ports de pêches le plus importants de la côte méditerranéenne
espagnole), dérouler les filets pour les réparer pour le lendemain, nettoyer
bateau et outils divers, pendant que dans le hall de vente les propriétaires de
bateau négocient la vente de leur pêche avec les dizaines de commerçants ou
restaurateurs qui embarquent aussi vite leur achat dans des camions frigo venus
parfois de 300 km à la ronde. Des gens sont là avec des seaux et munis de
longues épuisettes. Ils essayent de prendre les mouettes de vitesse et
ramassent les poissons tombés à l’eau ou sur le sol. C’est la cohue et certains
irritent les pêcheurs en voulant monter à bord pour ramasser les poissons qui y
traînent encore. Un vieil homme s’est rempli un seau de plus de 10 kg de petits
poissons, surtout des rougets. Quand je lui demandais ce qu’il comptait en
faire, « comer » (manger) m’a-t ‘il répondu, me regardant comme s’il
avait affaire à un idiot. Je me demandais quand même combien il pouvait être
dans cette famille pour manger une telle quantité de poissons.
Ensuite le vendredi matin,
Marlène s’est levée avec moi vers 6 h 30 pour découvrir ma promenade matinale et
assister au lever du soleil. Quand nous sommes arrivés sur la plage des
étudiants, je voyais la ligne rougeoyante qui se faisait pressante. J’ai dit à
Marlène : « mets tes lunettes de soleil, ça va être maintenant ».
Elle a ri mi surprise, mi incrédule. Mais elle avait juste chaussé ses lunettes
que le soleil faisait son apparition, d’abord un petit quartier mais très vite
un plus grand et en moins de dix minutes, tout le rond du soleil était visible et
montait lentement mais sûrement dans le ciel. Au début, il est rouge mais pas
trop éblouissant, ensuite il jaunit, devient plus fort, ses rayons s’élargissent
et il devient impossible de le regarder « droit dans les yeux » je
dirais. C’est un spectacle et un moment magiques, de ces instants rares qui
vous font communier avec la nature et vous confirment dans cette idée que le
monde vous appartient et que vous appartenez au monde. Derrière nous, vingt mètres
plus haut, nous avions repéré un vieux chien qui avait posé ses deux pattes sur
le mur de clôture et regardait vers l’horizon. Comme nous, il scrutait la ligne
rouge et une fois le soleil levé, il s’en est allé l’air satisfait. Nous nous
sommes dit que c’était sans doute là son rituel quotidien et qu’il était bien
chanceux.
Quand on pénètre dans le vieux
village, il y a une placette avec une église et un bar où l’on peut prendre un
café dès 7h30 le matin. J’y avais déjà fait une halte de temps à autres. Cette
fois, je l’ai fait chaque jour et la femme m’ayant reconnu, elle me devançait
dans ma commande : « un solo ? » mi affirmatif, mi
interrogatif. On appelle « un (prononcez oun) solo » un café sans
lait, un « cortado » (coupé) un café avec lait. Si vous ne précisez
rien d’autre, on vous servira de petits cafés. Si vous en voulez un plus grand,
disons à la belge, vous demanderez un « americano ». Si vous souhaitez
un déca, il vous faudra préciser « descafeinado de macchina » et
éviter ainsi qu’on vous serve une eau chaude avec du café soluble. Bon, moi je
ne devais plus rien dire puisque c’est la tenancière qui avec la voix enrouée
des fumeuses me lançait « un solo ». Je m’installe en terrasse en m’arrangeant
pour faire face à la petite maison bleue, d’une largeur de 4 m maximum, mais
comportant 4 étages (sans doute une ou deux très petites pièces par étage) et
surtout un minuscule penthouse avec une terrasse fleurie recouverte d’un toit
de bambou. J’y imagine une chambre à la Van Gogh, une douche à l’italienne, peut
être une kitchenette. Mais celle-ci n’est pas nécessaire, le café est servi à 1
euros dans les bars et les menus courants, entrée-plat-dessert, sont annoncés à
8,95€. Je me plais parfois à m’imaginer
dans cette petite cahute, regardant les passants sur la place, les fidèles
entrant et sortant de l’église lors de la messe du dimanche ou à l’occasion d’un
enterrement comme c’était le cas jeudi. Je me mettrais de temps à autre à l’ordi
pour vous écrire mes chroniques du haut de ce minuscule cinquième étage sans
ascenseur. Je me baladerais le matin le long de la plage et sortirais sans
doute le soir jouer aux dominos avec les vieux du village avec qui j’écluserai
ce vin noir qui sent la terre et le bois décomposé du vieux tonneau d’où le
tire directement dans la même bouteille jamais rincée, la tenancière à la voix
rauque
Entretemps, le monde continuait
de ne pas tourner rond et un terroriste avait fauché des vies innocentes à
Berlin. Je me suis demandé une fois de plus quand s’arrêtera cette violence
aveugle, injuste, inadmissible. Quand j’ai appris qu’un jeune homme avait tué l’ambassadeur
de Russie à Ankara en annonçant que « puisque vous tuez des innocents à
Alep, nous tuerons les responsables russes partout où ils seront », je me
suis dit cela c’est la guerre !! J’ai immédiatement pensé à l’attentat du
métro Barbès à Paris en 1941 quand un jeune communiste signait l’entrée en
résistance des jeunes français après l’attaque allemande de … l’Union Soviétique.
L’histoire vous joue parfois de ces tours…..
Allei, la prochaine fois que je
vous écrirai, nous serons en 2017, et après vous avoir écrit je me mettrai en
route pour une semaine en Champagne avec mes enfants et petits-enfants. Passez
des fêtes aussi belles que possible.