J’ai évidemment peu à peu créé une relation amicale avec « la
femme à la voix rauque ». Nous avons parlé ensemble à différentes
reprises. J’ai ainsi appris à la connaître. Son nom est Marta, elle est
andalouse d’origine et a vécu assez longtemps en catalogne (Barcelone). Sûr
qu’elle a une ascendance gitane. Elle est vice-présidente de l’association de
quartier de la vieille ville que l’on nomme aussi village mauresque (mais ce
dernier qualificatif a été créé par les bobos anglais - ils disent morrish
homes - pour se donner de l’originalité) ou que l’on nommait, lors de mes premières
visites il y a vingt ans, le quartier des gitans. Aujourd’hui, s’il reste pas
mal de gitans, beaucoup ont quitté le quartier fuyant leur logement insalubre.
Les européens du nord - français, hollandais, allemands, anglais,
scandinaves, belges – ont peu à peu pris leur place en achetant les maisons
pour une bouchée de pain et, bien sûr, « boboïsent » ou
« gentrifient » le lieu. J’ai présenté Marlène et ma belle-sœur Bégonia à Marta. Nous
allons assez souvent prendre le dernier verre du soir chez elle. Elle répond
volontiers à nos questions et nous transmet une partie de la mémoire de la
ville. « Nous voulons animer ce quartier mais éviter d’en faire un autre
« Altéa » (sorte de Durbuy local situé à 10 km plus au nord) nous
dit-elle. Ma perception et mes sentiments envers Marta ont changé depuis que je
la fréquente au quotidien. Elle devient pour moi une tenancière, certes
sympathique et charismatique et à laquelle je tiens beaucoup, mais elle a perdu
le côté mystérieux ou mythique que j’avais construit autour de son personnage
avant de la connaître et de la fréquenter au quotidien. « La femme à la voix rauque » a
cédé la place à Marta. Je n’en suis ni déçu ni content, je constate simplement.
N’en est-il pas toujours ainsi de nos nouvelles rencontres et fréquentations ?
Nous sommes tombés lors d’une de nos déambulations dans les ruelles
sur un « repas de voisins ». Cinquante couverts étaient dressés sur
de longues tables nappées de blanc. Chacun apportait une préparation de son
choix pour étoffer le buffet.
Comment ai-je pu oublier de mentionner Léona en vous citant le nom
des barques de pêcheurs. « Ma » Léona à moi, c’était cette femme de
Strépy, qui nous faisait de grosses tartines au beurre salé quand, enfants, nous rentrions avec Taf, son mari, de la
cueillette de champignons (voir mes chroniques de 2011).
Je n’ai découvert que la semaine dernière que La barque Noellia
portait aussi un deuxième nom : Jeronimo.
Hier, au cimetière, j’ai lu sur
la tombe d’une femme le prénom « Expectation » (le nom de famille était Rodriguez-Rodriguez).
Nous avons, alors que nous prenions un verre à la Placeta (c’est le
nom du bistrot de Marta) assisté par hasard à une réunion du comité de
quartier. A vue de nez, deux tiers de l’assistance étaient composés de
« blancs », un tiers d’espagnols et il y avait juste une gitane. L’animateur
était espagnol et la langue employée était obligatoirement l’espagnol (le
castillan est en fait le nom exact de la langue). La boisson était le vin (ben
oui).
La ville est séparée en deux par un ravin (« una rambla »)
qui fait entre cinquante et à certains endroits jusque plus de cent mètres
entre une rive et l’autre. Il divise « El casco antiguo » (la vieille
ville) en deux. Mais 75% du quartier se
trouve sur la rive nord. Les 25% restant, au sud, valent la peine d’être visité
d’autant que la rue la plus fleurie de la ville s’y trouve. La rivière, au beau
nom d’Amadorio, qui a creusé la rambla, coule toujours 25 m plus bas - et cette
année elle est bien gonflée – et après avoir rempli « el pantano » -
le barrage – quatre km à l’intérieur des terres, elle se jette à la mer. On a
aménagé un magnifique parc dans le ravin et sur ses parois avec terrasses,
sentiers de promenade, bancs, fleurs, arbres, escaliers, parcours santé… L’appartement d’Ines est juste au bord sud de
la rambla, J’y descends chaque jour, j’y traîne, je le nomme Central Park.
Les maisons de la vieille ville sont colorées à la chaux :
bleu, bordeaux, rouge, vert, jaune, blanc…Cette tradition date de l’époque où
l’on vivait de la pêche et cela permettait aux pêcheurs de voir leur maison de
loin quand ils rentraient.
Depuis quelques jours, j’ai doublé ma marche matinale. Je pars vers
6 h 15 ou 6 h 30 et j’arrive à la Maja où je prends mon café et une vichy
catalan vers 9 h ou 9h 15. Durant ma marche je rencontre presque toujours les
mêmes personnes, on finit par se connaître et on se dit bonjour. Certains disent
« buen dia », d’autres
emploient le pluriel « buenos dias », manière de souhaiter le
bonjour pour de longues années. Certains disent simplement « hola ».
Une maison donnant face à la mer a pour nom Hola Ola (Ola c’est la vague. Donc
Hola ola c’est bonjour la vague).
Il y a au bas de la vieille ville un premier étage avec deux portes
fenêtres donnant sur la plage. La jeune femme qui y habite doit avoir entre 30
ou 35 ans. Elle a des cheveux blonds-roux légèrement frisés qui lui tombent sur
les épaules. Son lit est posé contre la porte fenêtre gauche, je l’ai vue un
matin vêtue juste d’une chemise à carreaux qui laissait voir ses jambes, refaire
le lit et balayer autour. J’ai pensé aux passantes de Brassens « à celle qu’on voit apparaître une seconde à
sa fenêtre… » A la porte
fenêtre de droite est posée une table ronde recouverte d’une nappe blanche
entourée de deux chaises au tissu rayé. On l’y imagine prendre son café en
regardant la mer. Dimanche dernier, à 8 heures, la porte fenêtre de gauche
était grande ouverte, la jeune femme n’était pas levée ou alors s’était
recouchée. On voyait ses belles jambes brunes (« de longues jambes de faon »,
aurait dit Aragon) étendues sur le lit. Le lundi elle baladait son chien
sur la longue promenade de mer. J’ai été tellement pris au dépourvu en la
rencontrant que je n’ai pu que lui souhaiter un « buen dia » auquel
elle a répondu en souriant comme pour se moquer de moi. Elle me parut plus
petite que dans mon souvenir. L’après-midi, elle avait mis son linge à sécher,
j’y ai reconnu la fameuse chemise à carreaux de la première fois. Mais il y
avait debout près de la table à l’autre fenêtre, une grande et fine jeune femme
aux cheveux blonds magnifiquement coupés à hauteur du cou. Bon sang, les longues
jambes de faon, c’était les siennes bien
sûr ! Leur comportement ne laissait aucun doute quant à leur relation. Depuis, je les vois souvent prendre le petit
déjeuner assises sur les chaises au tissu à rayures.
Pffft ! Sigues sonando
Mario. (Tu rêves encore Mario)
Allei, lundi prochain je vous
écris de Liège
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