Je suis né quelques années après
la guerre, six ans après, en Europe et pas n’importe où en Europe, en Belgique c’est-à-dire
dans la partie la plus avancée de l’Europe de l’après-guerre. Le Portugal et l’Espagne
étaitent encore sous dictature fascistes et le resteront jusque 1975, la Grèce
connaîtra la dictature des colonels et l’Europe centrale vivra derrière le mur
jusque la fin des années quatre-vingt. J’ai conscience d’être d’une génération
chanceuse, peut-être la plus chanceuse de l’Histoire. J’ai connu pratiquement
le meilleur de ce qu’on a appelé les trente glorieuses qui désigne la période
de prospérité exceptionnelle s’étendant de la fin de la guerre en 1945 jusque
1974, 75. L’accord social élaboré à la fin de la guerre a assuré les droits
sociaux pour tous, le droit aux soins de santé, à des allocations sociales, à
des congés payés, à une pension décente, à l’enseignement pour tous. J’ai connu
une enfance et une jeunesse insouciante où nous pouvions, nous amuser, nous
former, nous révolter. La révolution culturelle qui a suivi mai 68 nous a donné
la possibilité de choisir et de construire librement le mode de vie qui nous
convenait, libéré des idées figées héritées de la bonne éducation classique ou
religieuse. Elle nous a permis de prendre conscience de l’autonomie, de l’autodétermination
de l’être humain : c’est l’homme qui se détermine face aux événements et
non plus les croyances ou les idéologies avec en corollaire ce défi : désormais,
il n’y a plus rien de définitif, il n’y a pas de modèle fini, il faut choisir
et se construire à tout moment.
J’ai connu la classe ouvrière et
l’importance déterminante à cette époque du mouvement ouvrier mais j’ai connu
aussi ce qu’Aurélie Filippetti a appelé la fin de la classe ouvrière et de son
rôle prégnant dans la société. J’ai participé aux mouvements pacifistes, aux actions
de solidarité avec les mouvements de libération en Amérique latine ou en
Afrique. J’ai participé aux actions de solidarité avec les réfugiés et sans
papiers… Ma génération a eu la chance de connaître à la fois une certaine insouciance
économique et à la fois la volonté d’être solidaire et d’agir pour plus d’égalité
et de droits pour tous.
J’ai connu le développement de la
radio, de la télé, de la culture de masse. J’ai connu une des plus importantes
révolutions technologiques née avec l’ordinateur, internet, le smartphone et
maintenant l’internet des objets, les robots, les voitures sans chauffeurs…
Je sais qu’aujourd’hui, il faut
se battre pour défendre les acquis sociaux mis à mal sous les coups de boutoir
du capitalisme mondialisé. Je sais que depuis la fin des trente glorieuses, l’incertitude
règne en maître, de larges pans de la population connaissent le chômage et l’exclusion.
Que l’angoisse est forte face aux nouvelles technologies qui remplacent le
travail humain. Je crois aussi que l’avenir est fait de lutte pour plus de
qualité de vie que de quantités à consommer.
La génération qui nous suit a
moins de chance que la mienne et que se passera-t-il pour la génération
suivante, celle de mes petits-enfants. L’idée que les générations futures
seront moins bien que nous fait son chemin.
Pour ma part je reste optimiste
car je crois que des révolutions mentales sont possibles qui conduiront par
exemple à une diminution radicale du temps de travail et à un système quel qu’il
soit d’allocation universelle.
C’est pourquoi je me dis souvent
que nous avons été la génération la plus chanceuse de l’Histoire. Il y a eu par
le passé de grandes civilisations, égyptienne, grecque, romaine. Il y a eu l’époque
vénitienne…Il y a eu tant de périodes faites de grands bonds en avant créatifs
de richesses et de beautés. Sans doute
les classes possédantes de l’époque étaient-elles ravies, gavées de richesses,
de culture, de palais somptueux, mais au prix de guerres de domination
permanentes et à quel prix pour les non patriciens, pour la plèbe, pour les
esclaves.
On me rétorquera que la société
actuelle s’est aussi construite sur le pillage du tiers monde, sur l’exploitation
des travailleurs. C’est évident et cela me révolte encore. Mais si je parle de
nous, génération européenne sans guerre directe, sans faim et avec quelques
soit le statut, le droit de manger, le droit à un toit, le droit aux loisirs…
Il faut alors reconnaître que nous avons été bien chanceux.
Je me dis parfois que le bien-être
matériel ne suffit pas. Il me faut de la découverte, de l’incertitude, de l’inconnu,
en un mot de l’aventure, de l’envie, du manque que je sois obligé de combler
par moi-même… Et parfois j’ai comme des regrets, l’impression que tout est
fait, tous les territoires sont découverts, les inventions essentielles sont
là, on ne fait plus que modifier ou améliorer le produit, la voiture ou la
machine… Il semble ne nous rester que l’aventure intellectuelle ou artistique.
J’y saute à pieds joints mais avec une petite pointe de nostalgie pour ces
temps où il restait tant de territoires et d’espaces inconnus. Quel luxe
pourrais-je dire que de se plaindre de ne pas avoir eu l’occasion de prendre
des risques.
Je me dis aussi, Il devait être
bien le temps où seuls cinq cents millions d’être peuplaient la planète !!!
Mais si je réfléchis, je me dis que l’aventure qui nous attend aujourd’hui est
d’apprendre à vivre à dix milliards, sur la même surface, sans se faire la
guerre et si possible en étant bien ensemble. Beau défi non ?
Vraiment je suis né dans la
génération la plus chanceuse de l’histoire, dans un continent où le pire est
passé….Je l’espère.
Allei, à la semaine prochaine, je
dois vous parler de ma boulangerie et de ma fabrique de pâtes.
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