Je vais tout vous raconter.
Voilà, ce dernier vendredi, j’ai commencé (re) à travailler en boulangerie.
Elle porte un beau nom « Un pain c’est tout », en Outre-Meuse, à la
rue de la loi, c’est la petite rue qui longe le Colruyt sur la gauche. En y
arrivant ce vendredi à 6h, en guise de bonjour, Philippe (le fondateur) m’a rappelé
qu’il y a cinq ans exactement, le 13 janvier (comme vendredi dernier), on
inaugurait la boulangerie et pour cette inauguration, j’y cuisais 80 focacciae
qui ne suffirent pas à rassasier les invités plus nombreux que prévu.
Emotion bien sûr. Je regardais
Philippe et son aidante Anaïs. Ils travaillent en symbiose parfaite, je les
regardais et avais l’impression de me revoir auprès de mon patron, Gustave, il y
a 50 ans exactement. Nous travaillions de 3 heures à 8 heures le matin sans
pratiquement nous parler, chacun sachant ce qu’il devait faire. Quand nous
prenions le petit déjeuner à 8 heure, j’avais l’impression de me réveiller, d’avoir
travaillé comme un somnambule. Pourtant nous avions pétri, façonné et cuit près
de 600 kg de farine et nous allions encore en travailler 200kg après le petit
déjeuner.
Il m’a fallu à peu près une heure
pour prendre mes marques et après une heure, mes automatismes sont revenus. Le
paradis. Faconner, bouler, enfourner, défourner J’ai aidé à leur production
habituelle de pains de campagne à base de farine du moulin d’Hollange, assez
unique à Liège, de bun’s comme on appelle les pains pour hamburger (absolument délicieux),
les tartes, miches, croissants etc. Durant les levées, j’ai fait tiramisu et
focacciae puisque mon rôle consistera aussi à lancer de nouveaux produits et
élargir l’offre.
Je vais y travailler tous les
vendredis. De plus, deux fois par mois, les lundis à 17 heures, j’ animerai des
ateliers avec Marlène. Nous avons définis quatre ateliers pour le moment :
un atelier focaccia (y compris les farces), un atelier gnocchis et ses sauces,
un atelier pâtes fraîches (y compris raviolis), un atelier tartes. Les dates
précises seront fixées prochainement, mais si vous êtes intéressé(e), dites-le
moi, on peut s’inscrire à un ou plusieurs ateliers mais on n’est pas obligé(e) de
faire les quatre. Le prix tournera autour de 25 ou 30€ par atelier, chacun
retourne avec sa production (3 focacciae par exemple). Ecrire à : mario.gotto@gmail.com
Allez savoir si c’est lié mais
des souvenirs d’antan me reviennent. Quelqu’un a fait circuler sur FB des
images de l’hiver 1962-1963. Ce fut l’hiver le plus long et le plus rude du
vingtième siècle, il a gelé de décembre à mars. Je m’en souviens précisément.
Ce souvenir de 63 est lié à un souvenir de l’hiver 60-61. C’est la grève générale
en Belgique. LA grande grève. J’avais 9 ans et pas grande conscience de ce qui
se passait jusqu’au jour où je me retrouve avec mes amis devant un groupe de
travailleurs qui nous barrent l’accès aux grilles de l’école. On nous explique :
c’est la grève, vous pouvez rentrer chez
vous, pas école. Nous allions repartir
tout joyeux de ces vacances inattendues mais voici qu’arrivent l’instit et le
curé. Grosse discussion, cris, colère, bousculade et un des « piquets »
empoigne le curé à la gorge et se prépare à le frapper de son poing droit. Nous
avons peur, Nous aimons le curé qui s’occupe énormément de nous, qui nous fait
découvrir plein de choses grâce au patro. Nous sommes paralysés. Les autres s’interposent,
tout se calme et le piquet fini par se retirer et nous laisse entrer à l’école.
Nous n’y resterons qu’une heure ou deux, le temps que l’on nous explique la
grève et qu’on nous dise d’en attendre la fin pour revenir à l’école.
Deux ans plus tard, c’est le
froid, le gel, le verglas. Rien ne circule tant la glace est épaisse. Pourtant,
je continue à me lever à 6h30 pour aller servir la messe chez les sœurs. Le
curé passe me chercher et nous parcourons à pied le km et demi qui nous sépare
du couvent. Nous avons pris l’habitude de marcher sur la glace et nous
dépassons un couple qui avance lentement avec difficultés. Le coréen ! C’est
le coréen avec sa femme, le même qui deux ans plus tôt avait serré la gorge du
curé. J’ai un peu peur de ce qui va se passer. Mais le coréen nous dit un
gentil bonjour et nous demande comment nous nous y prenons pour marcher aussi
vite sans tomber ? Faites comme nous répond le curé et vous verrez cela
ira tout seul. Nous rions et chacun continue sa route. On l’appelait le coréen
et j’imagine que c’était lié à ses convictions et à la pas si lointaine guerre
de corée, je ne l’ai jamais bien su.
L’hiver durait et une partie du chemin de l’école
était engoncé entre deux prairies. Des congères de près d’un mètre se formaient
et nous emballions nos pieds et bas de pantalons dans des vieux chiffons pour
éviter de rester mouillés toute la journée. Voilà, je me souviens de l’hiver 63
et d’un bout de la grande grève de 60 et du coréen qui ne m’est pas revenu une
seule fois en mémoire ces 55 dernières années. Et maintenant me revoilà
boulanger. Comme dirait Bohumil Harabal « progessus ad originem equals regressus ad futurum ». Allei,
pour le même prix, je vous donne l’extrait tiré de son livre « une si
bruyante solitude » que je viens de relire et qui m’habite encore et que
je vous souhaite vraiment de ne pas rater. Le personnage principal écluse des
litres de bière et travaille à une presse à vieux papiers. Il y écrase des
milliers de livres et tente d’en sauver autant que sa maison peut en contenir.
Il s’arrange toujours pour qu’au milieu des ballots se trouve une œuvre d’un
grand philosophe puverte à la page essentielle (il les invite tous bien sûr) et
il fait en sorte qu’apparaissent sur les faces visibles des ballots des
reproductions des grandes œuvres picturales de Ruebens à Picasso en passant par
Gauguin et Pollock) qu’ainsi tous les pragois pourront voir quand les ballots
sont transportés vers l’usine à papier.
”À partir d’aujourd’hui, te voilà seul, mon bonhomme, tu dois faire face
tout seul, te forcer à voir du monde, t’amuser, te jouer la comédie aussi
longtemps que tu t’accroches à cette terre; à partir d’aujourd’hui ne
tourbillonnent plus que des cercles mélancoliques…En allant de l’avant tu
retournes en arrière, oui: progressus ad originem equals regressus ad futurum, c’est la même chose, ton cerveau n’est rien qu’un paquet
d’idées écrasées à la presse hydraulique.”
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