La friture Romaria située au 194
de la rue Haute à Bruxelles, a vraiment tout d’un boui-boui. Affreuse façade
avec son grand châssis en aluminium, tables intérieures en plastique vert et
une allure générale de friture à la bonne franquette. Mais Nadia et moi – nous étions
venus à Bruxelles pour passer la journée avec ma sœur Nadia qui vit à Nantes
mais travaille comme intermittente du spectacle et est engagée pour 6 semaines
à la Monnaie – avions été attirés par les plats que dégustaient trois personnes
attablées près de la fenêtre. De plus une petite affiche jaunie, annonçait « cuisine
portugaise ». C’était hier lundi et les deux ou trois restaurants que nous
avions sélectionnés avant de partir
étaient fermés. Heureusement, Marlène, distraite par sa conversation avec Nadia,
ne remarqua pas le comptoir frigo qui nous accueillait à l’entrée à moitié
dégarni de quelques hamburgers, fricadelles, boulettes rabougris et pot de
mayonnaise et de ketchup. Les deux hommes au comptoir nous accueillent avec des
sourires gentils et nous nous installons dans le fond de la salle entourés de miroirs
face à une fresque ratée représentant un Frank Sinatra à la jambe atrophiée chantant près d’un bar où
James Dean nettoie des verres derrière son comptoir et Maryline Monroe assise
sur un tabouret sirote un wisky avec des genoux énormes mis en avant.
Voilà me suis-je dit, un
endroit où l’on ne rentrerait jamais mais où je sentais qu’on pourrait
peut-être très bien manger. Le garçon, qui s’avéra être le fils du patron nous
présente la carte nous disant, à gauche les plats « friteries », à
droite les plats portugais. Je demande ce que mangent les personnes à l’avant,
il me répond « Viande de porc à l’Alentejana ». Je lui demande si il
est aussi bon que celui que j’ai mangé à Lisbonne, il me répond oui sans aucun
doute. Je choisis donc cela, Nadia aussi. Marlène choisit le « bacalahau
maison », le baccala est un de ses mets favoris. Commande prise le garçon
nous apporte trois morceaux de pommes de terre trempant dans la sauce, en guise
de mise en bouche. Nous en prenons chacun un et de fait c’est délicieux et très
goûteux. Puis nous entendons les deux hommes s’affairer derrière le comptoir, c’est
là que toute la cuisine se fait. L’attente est d’une demi-heure, ce qui nous
rassure car cela signifie que ce n’est pas le micro-onde qui est mis à contribution.
Les assiettes que l’on nous sert ensuite sont magnifiques, la fraîcheur
transparait, le porc à l’Alentejana est délicieux, de petits morceaux de
chorizo portugais leur donnent goût fabuleux. Quand le garçon me demande s’il
est aussi bon qu’à Lisbonne, je lui réponds non, il est bien meilleur. Quant au
baccalhau de Marlène, il est fabuleux, moelleux, frais, garni de tomate
fraîches juste cuites ce qu’il faut et de chips de pomme de terre fait maison.
Plus tard, le patron, père du garçon qui nous a servi vient s’asseoir près de
nous, il nous expliquera que tout a été fait à l’instant, qu’il cuisine comme s’il
recevait les gens chez lui, que le micro-onde ne sert que pour la friterie et
qu’il va chercher au Portugal la majorité de ses produits et entre autres le
baccala, le chorizo et les palourdes. José- c’est son nom- est bavard et comme
moi je suis doué pour faire parler les gens, José s’assied pour nous raconter
sa vie. Arrivé en Belgique avec sa femme et une seule valise en carton pour eux
deux, des connaissances leur avait dégoté un petit deux pièces, sans meubles,
sans lit, sans même une chaise et les premières semaines ils dormirent à même
le sol. Chacun trouva du travail – au noir car à l’époque l’immigration était
interdite pour les non membres de la communauté européenne - elle comme femme
de ménage et lui comme plongeur et homme à tout faire dans un restaurant. Ils
travailleront ainsi clandestinement jusqu’en 1988 année ou un couple d’italiens
travaillant à la communauté européenne les aident à obtenir papier et permis de
travail. Exploité pendant huit ans par différents restaurateurs, José décide
avec deux copains de lancer ses propres restaurants portugais dont un à la
place Jourdan qui connut un très beau succès. Mais un des trois associés fera
main basse sur la caisse. José décide alors d’utiliser ses petites économies
(sa femme a une emploi de femme à tout faire dans une école de la ville de
Bruxelles) pour acheter une maison dans la rue Haute, le 194, où il installe sa
« friture restaurant portugais » et c’est le succès. Il achète deux
autres immeubles à appartements, il y case ses enfants et leur famille et
maintenant commence à poindre la possibilité d’un retour au Portugal et la
possibilité d’y vivre du fruit de ses années en Belgique. Entretemps, il y va
régulièrement avec son camion frigo s’approvisionner de produits authentiques
et du porto que produit son frère de 74 ans au bord du Douro. J’ai eu l’occasion
de déguster ce porto de derrière les fagots. Et bien cela goûte le porto, ce
goût que l’on ne retrouve jamais dans les portos des grandes surfaces. Il s’appelle
José Rodriguez, il est le seul de sa famille de sept enfants à avoir quitté la
ferme familiale, seuls lui et son frère aînés vivent encore et je vous souhaite
de le rencontrer et de déguster sa cuisine familiale, comme à la maison.
Demandez-lui s’il fait bien les plats « à l’instant ». Vous verrez.
Il est ouvert 7 jours sur 7.
Ma deuxième journée de travail à
la boulangerie s’est bien passée. Un vrai bonheur, à tel point qu’à un moment
de la matinée, Philippe et moi, après avoir défourné la troisième fournée avec
Anaïs, nous sommes dits : mais qu’est-ce que la vie est belle. Ses pains
sont réellement exceptionnels. Flavia, une amie, me disait qu’elle avait avec
le pain de Philippe l’impression de manger le pain de son enfance. Et bien je m’étais
dit aussi que j’avais l’impression de manger le pain de Léona qui lorsque nous
étions enfants, nous en découpait de grosses tranches qu’elle avait beurrées et
salées et que nous dégustions avec les champignons crus que nous avions
ramassés avec Octave.
A part cela, parmi les boulangers,
court cette antienne qui dit que faire du pain, c’est comme dompter un animal
sauvage. Et bien j’ai encore pu le vérifier ce dernier vendredi, j’ai fait des
baguettes, pas mal, inégales, bonnes mais ce n’était pas tout à fait cela.
Celles du bas du chariot étaient légèrement étalées, celles du haut plus
arrondies. Chaque élément de l’environnement compte et il faut dompter ce
mélange de farine, d’eau de levure et de chaleur qui produit un animal sauvage
mais tellement bon quand il est cuit. Ah que la vie est belle, quand on fait de
bonnes choses à ajouter Philippe.
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