Je suis candidat sur la liste Vert Ardent
aux élections communales à Liège, à la 49ème place. J’étais en Espagne jusque la semaine
dernière et avant d’entamer ma campagne sur le terrain, je voudrais vous
raconter l’histoire dont m’a fait part Poldo, un cousin de Marlène. Vous
pourriez vous demander ce qu’une histoire comme celle-là, qui s’est déroulée à
plus de 1500 km d’ici, il y a près de 80 ans, vient faire dans une réflexion
électorale ? Ceci : quelques jours après qu’elle me fut racontée, j’appris
dans la presse belge l’existence du mouvement "Schild &
Vrienden" (Bouclier et
Amis) révélée par la VRT, mouvement plus ou moins proche de la NVA et de son
secrétaire d’Etat fétiche. Mouvement qui fait la part belle aux propos
ouvertement racistes, antisémites, antiféministes. J’appris également la
réunion du responsable du PP belge avec Salvini et Steve Banon, ancien
conseiller de Trump. Ils veulent créer ensemble un grand mouvement populiste en
Europe.
Vert Ardent entend développer, si
les électeurs le porte au pouvoir, une démocratie plus directe et participative
(vous pouvez prendre connaissance du programme complet de Vert Ardent sur son site internet :
https://vertardent.be.) Ce point du programme me parait fort important. Il me
parait indispensable que les responsables politiques entretiennent un lien
permanent avec les citoyens et soient à leur écoute pour éviter l’emprise des
démagogues et des ennemis de la démocratie.
Voici l’histoire. Ce n’est pas
une fiction
« Qu’avais-je à m’obstiner à
penser qu’ils l’avaient précipité du haut de la falaise dans le Nalon. Assis à
la table de la salle à manger aménagée dans l’ancienne étable, nous voyions par
la fenêtre du coin cuisine, l’autre côté de la vallée de Palomar. « On n’a
jamais su où ils l’ont enterré » continuait Poldo en nous désignant de sa
main la vallée, les coteaux faits de prairies, de bois et d’à-pics rocheux qui
nous faisaient face. Son émotion était
perceptible, la nôtre aussi et pour ma part je ne me risquais plus à poser la
moindre question. Ma gorge était serrée et je n’aurais pu aller au bout d’une
phrase. Je tenais donc pour moi cette idée qu’ils l’avaient précipité du haut
de la falaise qui plongeait à pic dans la rivière, à cet endroit assez profonde. Et rien à faire
pour me détacher de cette idée, de ce sentiment que Ramon et ses quatre
compagnons avaient fini une balle dans la tête et avaient disparu dans les eaux
noires du rio Nalon.
Poldo, de son vrai nom
Léopoldo Canedo Alvarez, légèrement plus âgé que Marlène, le cousin
préféré de la famille, souriant, séducteur, flambeur et sorteur, avait vécu une
quinzaine d’années à Paris, d’où il venait régulièrement rendre visite avec son
frère Emilio et leurs épouses respectives à la famille de Marlène installée à
Bruxelles. Quand arrivaient les « parisiens », habillés de la
dernière mode, avec toujours un cadeau pour chacun, c’était la fête. On coupait
le jambon, on mettait sur le feu la plus grande casserole où l’on cuisait la
« fabada » la plus riche qui soit, garnie qu’elle était de
chorizo, morcilla, lacon maigre et gras à la fois. Le cidre et le vin coulaient
à fond. La fête durait tout le WE. On tentait d’oublier le passé, la misère, le
franquisme et la haine qu’il véhiculait.
Poldo était rentré en Espagne après
la mort de Franco en 1975. Goya, sa femme, ne supportait plus son exil et
voulait retrouver son Espagne, ses Asturies, ses montagnes verdoyantes, ses
rivières, ses horreos, ses fêtes, l’élégance aristocratiques dont se paraient
les femmes le dimanche, quand on laissait la besogne de côté pour se réunir
entre amis autour d’immenses tablées couvertes de nappes blanches. A la sortie
du franquisme, l’Espagne manquait de tout et par-dessus ce tout, des ouvriers
spécialisés capables de construire l’économie. Comme réparateur TV, Poldo était
des plus recherché : impossible de commercialiser les TV couleurs en
Espagne sans techniciens pour les installer et les réparer.
Poldo et Goya s’installèrent à
Palomar, de l’autre côté de la montagne qui la sépare de Puerto, le village de
Marlène. Ils occupent en fait la maison du grand père de Poldo. On n’a pas
touché à sa structure. C’est une maison robuste, aux murs épais. On a juste transformé
l’étable en cuisine-salle à manger où trône une belle table en bois épais. La
toute petite fenêtre du second, qui laisse juste passer un corps pas trop grand,
est restée telle qu’elle était. C’est par cette petite fenêtre qu’avaient fui
José le père de Poldo et Adelino, son oncle.
Trois individus s’étaient
présentés ce jour-là. Inconnus dans la région. « Ils » voulaient José
et Adelino. Le chef de famille de l’époque, le grand père de Poldo n’était ni
communiste, ni socialiste. Plutôt une sorte de gentlemen Farmer, qui ne voulait
que le bien autour de lui, qui aidait l’un ou l’autre dans le besoin. Mais il n’ignorait
rien des engagements républicains de ses deux fils. « ils » l’ont
menacé : « si ne dis pas où sont tes deux fils, nous t’emmenons à Oviedo. « Ils » l’ont emmené avec
quatre autres villageois. Aucun des cinq n’est jamais arrivé à Oviedo et bien
sûr n’est jamais rentré chez lui. « On n’a jamais retrouvé leur corps. Mon
grand-père Ramon est enterré quelques part là-bas » nous dit Poldo en nous
désignant la fenêtre de la cuisine d’où l’on voit le versant opposé de la
vallée.
José et Adelino avaient fui de
justesse par la petite fenêtre du deuxième étage, celle qui donne sur la
prairie à l’arrière, juste au-dessus de la roche sur laquelle est appuyée la
maison. Adelino fut le premier à passer clandestinement en France. José fera 8
longues années de prison et rejoindra plus tard son frère.
Les asturiens sont ceux qui ont
résisté jusqu’au bout au coup d’état de Franco. Ils le paieront très cher et
très longtemps. Le régime persécutera la population asturienne jusqu’à la mort
de Franco, arrêtant, tuant, poussant à l’exil ceux qui ne faisaient pas
allégeance. Bien sûr dans cette résistance, les mineurs étaient le fer de
lance.
Ce dernier 20 août, Poldo et Goya
nous avaient invités, Marlène et moi avec Luis et Monsé, pour déguster les
calamars dans leur encre préparés par Goya. Nous avions échangé les souvenirs
de Paris, de Bruxelles et peu à peu la conversation avait glissé sur les
souvenirs plus anciens, plus douloureux. Tout cela était parti d’une question
sur cette fameuse petite fenêtre du deuxième étage. Je comprenais maintenant
pourquoi on l’avait maintenue telle qu’à l’origine. En terminant son histoire,
Poldo a répété « je ne sais toujours pas ce qu’ « ils » ont
fait de son corps ». Il régnait un lourd silence autour de la table. Par
la fenêtre de la cuisine, c’était la falaise de l’autre côté de la vallée qui
occupait ma vision. J’ai imaginé le corps de Ramon Canedo Gonzalez tombant, les
mains liées dans le dos, la tête trouée d’une balle au milieu du front.
J’ai pensé que le fascisme s’avance
toujours à pas feutrés mais une fois au pouvoir, il devient bestial. Il libère
la haine et les instincts les plus enfouis. Les milices les plus haineuses s’organisent, se vengent de leurs échecs non
pas en s’attaquant aux vrais responsables mais souvent aux plus faibles, aux
boucs émissaires… aux juifs, aux chômeurs, aux militants, aux étrangers.
Nous n’y sommes pas encore me
direz-vous ! Bien sûr que non. Mais en ce mois d’août, en Italie, un
groupe s’est attaqué et a tué un africain avec pour seul prétexte qu’il était
africain. En Belgique, on vient d’inaugurer un centre fermé spécial pour
famille avec enfants. « ils »annoncent qu’ils vont construire d’autres
centres fermés pour les migrants en transit, qu’ »on » leur
confisquera leur GSM pour empêcher qu’ils communiquent avec leur famille… « Ils »
veulent accélérer la dégressivité des allocations de chômage… »Ils »
disent qu’ils vont s’unir avec des Salvani, des Orban, des Banon et en finir
enfin avec ces rêveurs qui affaiblissent notre race et notre culture en ouvrant
leur porte à tous ces gueux venus d’ailleurs.