Il faut que je vous raconte ce
qui nous est arrivé, nous n’en revenons pas nous-mêmes.
Nos deux soirées de fin de
semaine ont été magnifiques et nous avons presque fait le plein les deux fois.
Nous sommes fiers de tous nos clients. Ce vendredi et samedi, nous avons reçus
beaucoup de nouveaux et la plupart par table de quatre. Ils viennent le plus
souvent grâce au bouche à oreille, et d’une façon ou l’autre nous disent
« on nous a dit du bien de votre resto alors on vient voir. » Et
quand ils sont satisfaits, nous en sommes heureux et satisfaits à notre tour.
Pour nous tout le monde a la même importance et nous les servons tous aux
mieux.
Nous avons des clients-amis très
amateurs de restaurants et de fines cuisines, qui nous racontent leurs
escapades gourmandes et qui placent notre cuisine pas toujours en tête mais souvent dans le haut de leur
classement. Il s’agit de trois couples différents et leur avis comptent
beaucoup pour nous.
Bien sûr quand nous recevons
d’autres restaurateurs ou cuisiniers et que ceux-ci nous complimentent, c’est
encore différent, car cela vient de praticiens qui savent ce que c’est de
sortir 50 couverts d’une égale qualité.
Nous savons que rien n’est jamais
acquis et tout doit être remis sur le métier à chaque fois.
Mais ce qui nous est arrivé
samedi est une première. C’était un défi et nous l’avons bien relevé. Bon allez, je vous raconte donc :
Ce dimanche avait lieu la
classique Liège-Bastogne-Liège. Nous savons Marlène et moi que les veilles de
classique nombre de cyclistes amateurs font le parcours des professionnels.
Notre beau frère Jean Louis a fait à plusieurs reprises certaines étapes du
tour de France et souvent les plus difficiles.
Donc les hôtels liégeois étaient
combles de tous ces amateurs. J, de l’hôtel Neuvice, avait réservé une table
pour un groupe de 12 personnes présentes à Liège pour la course. Elle m’a juste
dit qu’il y avait parmi eux un directeur d’un grand hôtel parisien et qu’il
souhaitait manger du « bon produit » dans un endroit où ils puissent
être tranquilles entre eux. Une dame, anglaise, avait organisé leur séjour et
est arrivée légèrement en avance, s’excusant que trois membres du groupe
avaient dû rentrer de suite sur Paris et que les autres seraient légèrement en
retard mais qu’ils avaient très faim car ils terminaient leur Liège Bastogne
Liège. Bon le resto était bondé et c’était bien que ce groupe vienne après le
coup de feu. Ils sont arrivés à 9 h et il m’est apparu assez rapidement que
nous avions affaire à un groupe sympa. Une dame (avec l’anglaise, elles étaient
trois femmes et donc six hommes) me dit discrètement, « vous avez à table
de grands restaurateurs parisiens »…ah, me suis-je dit, bon, je ne vais
rien dire en cuisine pour ne pas mettre la pression et je me suis surpris à
être confiant sur la suite.
C’était sans compter sur les
présentations que tenait à me faire le monsieur qui semblait à l’évidence être
le leader du groupe. A commencer par lui-même : Werner Kuchler, directeur
du restaurant du Plaza athénée de Paris, un cinq étoiles avec comme chef Alain
Ducasse, multi étoilés et mondialement connu.
Kuchler a été élu meilleur directeur de restaurant. C’est une très forte
personnalité et il suffit de taper son nom dans google pour se faire une idée
de la richesse humaine du personnage et si vous ajoutez à son nom « la
règle du jeu, vous trouverez un article qu’il a écrit sur sa vision de la
cuisine.
Il y avait aussi Philippe
Leboeuf, manager général du Mandarin Oriental, où officie Thierry Marx, deux
étoiles au Michelin, très connu pour sa participation au jury de top chef et
ses recherches en gastronomie moléculaire. Taper aussi Philippe Leboeuf dans
google et vous tomberez sur son impressionnant CV.
Autre fana de vélo présent, Pino
de « Pizza Pino « , qui avec ses 140 pizzaiolos sort des millions
de pizza que s’arrachent des millions de touristes qui peuvent ainsi se payer
pour 15 euros un plat de très grande qualité, sur les Champs Elysées.
L’organisatrice avait demandé si
nous accepterions qu’ils viennent avec leur propre champagne car il y avait
parmi eux Loïc Scharbarg des
champagnes Castelnau, sponsor du Tour de
France. Toute cette bande disposait d’un coach qui était là lui aussi :
Cédric Vasseur, maillot jaune lors de la cinquième étape du Tour de France
1997. Le dernier homme était un ancien ingénieur de l’industrie textile,
aujourd’hui retraité. C’est lui qui, à un moment de la soirée est venu près de
moi au bar pour m’expliquer que ce qui les rassemblait était le vélo, qu’ils
faisaient nombre de classiques, qu’ils avaient fait le tour de France, mais
aussi la route 66 aux Etats-Unis, 3000 km en alternant vélo et car. Il m’informa également qu’une des dames qui
était là était la patronne des danseurs de l’opéra de Paris.
Bon évidemment, ma nervosité
était montée d’un cran quand même et bien sûr … je me suis gouré dans la prise
de commande. Madame Kuchler m’a dit discrètement et gentiment, « prenez un
papier où il n’y a rien de déjà écrit et cela sera plus facile », j’avais
en effet pris un morceau de papier sur lequel il y avait des griffonnages
d’autres commandes. Ils ont tous accepté de bon cœur de refaire leur commande.
Au fur et à mesure que les plats
étaient servis la pression est tombée et j’ai vite senti avec les entrées que
c’était gagné. Pino m’a dit qu’il avait rarement mangé une scamorsa comme la
nôtre et plusieurs ont dit que le tartare de patates douces au guacamole était
un parfait délice.
Evidemment comme tout grand restaurateur,
certains y sont allés de demandes particulières. Nous y sommes habitués car il
est rare que l’on ne nous demande pas de corriger telle ou telle composition
pour des allergies ou des intolérances alimentaires. Ici ce n’était pas l’objet :
Kuchler souhaitait un plat de pâtes en supplément à son boeuf aux légumes, Pino
demanda du risotto aux asperges avec son bœuf et sans légumes, et Scharbarg souhaitait le bœuf tel que prévu au
pavot mais préparé en petites lamelles (ce que nous faisons régulièrement et
nous appelons cette formule le bœuf à la Jean Marc, du nom du premier client
qui nous avait fait cette demande). C’est Pino qui a choisi le Fortuita, un vin
des Pouilles que j’apprécie beaucoup. Tous ont apprécié la cuisson des légumes
et deux suppléments ont été demandés ainsi qu’un plat d’asperges dont nous leur
avons fait la surprise.
Quand Marlène est sortie de la
cuisine, je n’ai pas eu le temps de la présenter, tous se sont levés et se sont mis à l’applaudir.
Chacun a tenu à l’embrasser et Kulcher tenait à lui dire qu’avec Ducasse, il
voulait aussi développer une cuisine nature et Marlène et lui sont partis dans
une discussion passionnée. De toute évidence, le grand directeur était
sincèrement séduit.
Pendant ce temps, Pino et moi
tombions dans les bras l’un de l’autre en découvrant que nous venions du même
coin d’Abruzzo, lui de Giulianova (qui est la plage que je fréquentais dans les
années où n’y existait aucun hôtel) et moi de Tossicia qu’il connaît très bien
quand il y passe en vélo pour aller au Gran Sasso. « Ma siamo paesanni »
s’exclama-t-il !! Nous avons parlé pizza et je lui ai dit que justement la
semaine prochaine nous mettions notre pizza végétarienne à la carte. Nous avons
parlé cuisine abruzzese. Son oncle gère un excellent restaurant dans la vieille
Giulianova « la Bellavista ». Il m’a fait promettre que quand il
reviendrait l’an prochain, nous lui préparerions la Pasta con Fagioli. Il
s’agit de notre plat national, sans aucun doute le meilleur du monde et je le
dis en toute objectivité et sans chauvinisme hein !!!. Pino m’a dit de ne
pas passer à Paris sans aller le saluer et goûter sa pizza sur les champs
Elysées.
Tout cela venait après une
semaine riche en émotion de toutes sortes et d’autres rencontres dont je vous
parlerai une autre fois.
Quand ce groupe de VIP est parti,
il était minuit et quelques, le volet des restaurants voisins étaient baissés.
Nous étions fatigués mais tellement contents et l’adrénaline trop présente nous
empêchait d’aller de suite au lit. Nous avons éclusé un excellent crémant
d’Alsace. Nous nous sommes dit que quelque chose était arrivé dont nous
pouvions, en toute modestie, être fier, mais que chaque jour était différent,
que nous n’allions pas nous prendre la tête et que demain, nous allions continuer
à faire des choses bonnes pour tout le monde, propres et justes. Et aussi, que nous ne devions surtout pas
oubliés de remercier nos amis de l’hôtel Neuvice de la confiance qu’il nous
accorde en nous envoyant des clients aussi prestigieux.