On
dit beaucoup de choses de Paris, on dit entre autres qu’elle est la ville aux
cent villages. La Butte aux cailles est un de ceux-là et nous étions impatients
de le découvrir. Nous sommes arrivés en gare du Nord vendredi à onze heures et
à midi trente, nous grimpions la Butte aux Cailles.
Nous
avions juste pris le temps de déposer nos bagages à l’hôtel « Le Chariot
d’or » sur Turbigo et non au Tiquetonne, qui est notre hôtel habituel
depuis plus de vingt. Nous ne lui avions fait qu’une seule infidélité en
logeant quelques nuits à l’hôtel des Croisés, très bien mais décentré. Nous
adorons les vieux hôtels parisiens, où les murs des chambres sont encore
tapissés de papiers peints, avec leur allure vieillotte et leurs meubles usés,
« puisqu’il ne faut rien jetés n’est-ce pas, ça peut toujours
servir… ». Ce « Chariot d’or » était particulièrement vieillot.
Seuls, la salle à manger et les salons ont gardés les traces et le décor,
défraîchis et usés, de sa splendeur
passée. On y est accueilli aujourd’hui non plus par la vieille dame ronchonne
qui regarde si vous vous êtes bien essuyé les pieds avant d’entrer, mais par
une femme avenante dont l’accent laisse penser qu’elle est d’origine suédoise
et c’est une autre dame, d’origine philippine elle, qui vous sert le petit
déjeuner ; bref des françaises comme nous les adorons puisqu’elles font
râler les Lepen, père et fille. La chambre était bien tapissée de vieux
papiers, le lit confortable, la salle de bain plus grande que celle que nous
avions dans notre palace newyorkais et le double vitrage ne laissait passer
aucun bruit. Dans nos city trips, nous ne rentrons à l’hôtel que pour nous
changer pour le dîner du soir et ensuite, fourbus, souvent un peu pompette,
pour dormir. Nous faisons donc tout pour fuir les hôtels sans âme, sans passé
et aseptisés. Ce n’est pas le cas quand nous partons pour séjourner durant des
vacances plus longues bien sûr. Le Chariot d’or et le Tiquetonne se trouvent à
Montorgueil, près de Beaubourg et de la Grande Halle.
En
un bon quart d’heure, vous êtes à la Butte aux cailles. Vous prenez la ligne
sept du métro, descendez Place d’Italie, prenez à pieds le boulevard Blanqui et
à hauteur du numéro 51, (de l’autre côté du boulevard se trouvent le beau
bâtiment du journal « Le Monde ») un passage sous le HLM et des
escaliers vous conduisent à la Butte. De suite vous êtes dans un autre Paris,
fait de petites maisons, d’ambiance populaire et conviviale, d’absence de
voitures et de bruits de circulation, de sirènes et de coups de klaxons…Les
habitants de la Butte ont été les derniers à se rendre aux versaillais lors du
renversement de la Commune, aussi les cafés et les restaurants portent des noms
tels que « Le Clément », « La folie en tête », « Le
Merle Moqueur ». Certains ont des noms qui ont quitté l’époque de la
Commune, ainsi au Passage Barrault, un café a pour nom « les oiseaux de passage ».
Nous, nous venions pour aller manger au restaurant « Le Temps des
Cerises », société coopérative ouvrière de production comme le dit
l’enseigne. Le décor et l’ambiance y sont d’une simplicité qui rend le lieu
magique. Sur les treize personnes qui y travaillent, dix sont des coopérateurs.
Tous ont presque le même salaire et 3 jours de congé par semaine. Un lunch
(entrée+plat ou plat+dessert) vous est déjà proposé à partir de 11€. J’ai pris
la formule à 16€, Marlène a pris le plat seul, ce qui nous a permis de partager
l’entrée faite de fromage blanc au concombre et céleri. Je n’aurais pas su
manger ces 500 gr de fromage seul. Marlène a pris de délicieuses joues de porc,
parfaitement cuites, moi, j’ai eu droit à un boudin noir à la Normande :
un caquelon chaud recouvert de tranches de pomme cuites en-dessous desquelles,
j’ai trouvé de la compote un peu rosée dans laquelle j’ai trouvé mes deux
boudins noirs cuits. Original, simple et bon. Si nous avons payé 48e
c’est parce que nous avons pris chacun un demi litre de vin, Marlène boit du
blanc, moi du rouge.
Nous
avons traîné un peu dans le resto,
ambiance trop bonne, et sommes partis en nous promettant d’y revenir même si on
sent que le lieu finira envahi par les bobos venant du tout Paris.
Si
l’envie vous prend d’y aller, nous avons découvert un hôtel intéressant, dans
le quartier. Vous voyez, un de ces hôtels où les gens louent la chambre à la
semaine, au mois ou à l’année, là où va se réfugier le pauvre homme dont la
femme menace de tuer le chat, là où le représentant de commerce dépose ses
produits de démonstration, là où une vieille concierge passe ses journées
derrière son rideau, qu’elle écarte légèrement pour dévisager le nouvel
arrivant qui ramène une fille dans sa chambre en plein milieu de l’après
midi…Je vous assure que cela vaut la peine de faire l’expérience si le Paris
qui vous intéresse n’est pas (seulement) le Paris classique, mais bien celui
des gens. La chambre pour une personne avec coin cuisine est à 140€ la semaine,
170 avec cuisine et bain. La chambre pour deux avec cuisine est à 200€ la
semaine et à 240 avec cuisine et bain. Il s’appelle « l’hôtel des cinq diamants »
à la rue des cinq diamants. Vous pouvez ne pas prendre la salle de bains et
utiliser les nombreux bains publics encore bien présents à Pazris, dont un très
beau près de Beaubourg.
Justement,
l’après midi, nous sommes allés à Beaubourg, visiter la rétrospective sur Munch. Riche de
140 peintures et photos, elle a plu à Marlène, à moi moins. Evidement, la
spécialité de Munch, le névrosé, était de recopier jusque dix ou douze fois ses
tableaux, se faisant un point d’honneur à bâcler son travail, qui s’il était
très expressif, manquait grandement d’imagination et de créativité. Bref, je
comprends qu’on puisse aimer mais moi, pas. Heureusement les douze euros du
prix d’entrée donnent accès aux collections permanentes, réparties sur deux
étages du Centre Pompidou, l’un pour la période de 1960 à nos jours, qui
s’ouvrent par une toile d’un de mes peintres préférés, Cy Twombly, l’autre couvrant la période de 1905 à 1960,
moins intéressante pour nous parce que vus et revus…
Nous
avons soupé dans le quartier où nous logions : Montorgueil, autre village
parisien qui couvre les rues Tiquetonne, Montorgueil et Saint Denis. La rue
Saint Denis des prostituées d’hier, des filles de joie, des dames de plaisir où
n’importe quel nom respectable que vous voulez leurs donner. Il y en avait
encore quand nous étions venus la dernière fois. Aujourd’hui, les
« maisons closes » ou les « hôtels de passe » ont laissé
place aux restaurants et aux cafés où vous payez minimum cinq euros le plus
petit verre de vin.
Je
découvre depuis New York et surtout Clesea, que l’on peut mesurer la
« boboisation » d’un quartier aux nombres, au design et à la cherté des vélos qui y
circulent. Inimaginable de voir des vélos à cinq ou six mille euros qui amènent
les aisés de Paris dans les dizaines de restos de Montorgueil qui est ainsi
devenus « Le » quartier branché du centre. Nous avons mangé des plats
« modernes », pas extraordinaires, mais nous est venus l’idée de
détourner le contenu de l’un d’entre eux pour en faire une merveille. C’est
encore secret mais ce sera terrible, vous verrez. C’est aussi à cela que nous servent les voyages.
Figurez-vous :
nous fréquentons le Tiquetonne depuis vingt ans, bien avant le phénomène
actuel. Nous y allions pour le charme et le prix (69€ la chambre double) de
l’hôtel (à condition de refuser les chambres du sixième étage) et pour sa
position centrale, en un quart d’heure vous êtes à Notre Dame ou à Saint
Germain. Il ya quelques mois, nous discutions famille avec les parents de
Marlène, en Espagne ; nous parlions d’un des oncles de Marlène, mineur
antifranquiste, réfugié à Paris et le père de Marlène de nous dire « je me
souviens encore du nom de la rue car c’était un nom spécial « rue
Tiquetonne ». Prononcez à la façon du père de Marlène cela donne « roué
Tiquétonné ». Nous étions abasourdis et avons dit pourquoi bien sûr. Une
coïncidence qui ferait pâlir d’envie Paul Auster.
Le
lendemain, nous avons visité deux autres villages parisiens. Le premier, nous
l’avons fait en croisière sur un bateau, « l’Arletty », sur le canal
Saint Martin. La croisière dure deux heures trente qui est un peu plus que le
temps nécessaire pour passer les quatre doubles écluses qui permettent de
rejoindre le canal d’Ourq à la Villette (on n’y tranche plus le lard puisque
l’abattoir, dans le parc de la Villette, est devenu la Cité des sciences à côté
de la Cité de la musique, parc dans lequel j’avais durant cinq mois installé
avec sept ONG française, en 2001, l’expo du CIRE où nous avions accueilli
septante cinq mille visiteurs.)
L’intérêt
de la croisière est bien sûr le passage du canal souterrain d’un km huit cents
et le passage de la première double écluse. A la deuxième double écluse, vous
êtes bien mouillé et dans les deux dernières écluses, complètement blasés. Mais
cela a un certain charme, surtout au passage devant l’hôtel du Nord, du même
nom que le film de Marcel Carné qui y a été tourné, vous entendez les voix
d’Arletty et de Jouvet bien sûr, « atmosphère, atmosphère, est-ce que j’ai
une tête d’atmosphère ? ». Le canal de l’Ourq a été construit par
Napoléon pour amener l’eau potable à tous les parisiens car jusque là, la bonne
eau était réservée aux classes privilégiées. Pour financer ce canal de plus de
cent kilomètres, Napoléon eut l’idée de taxer le vin, vendus dans l’enceinte du
Paris d’alors dont ne faisait pas partie le village de La Villette. On dit depuis
lors que c’est le vin qui a payé l’eau des parisiens. Mais, à La Villette, on cultivait
la vigne qui produisait une piquette appelée guinguette. Les ouvriers parisiens
prenaient le train à la gare d’Austerlitz pour aller boire ce vin, non taxé, le dimanche, au bord de l’eau, d’où le nom de
guinguette donné aux endroits où l’on buvait le guinguette.
Aujourd’hui,
les guinguettes ont pratiquement disparus pour laisser place à l’asphalte et au
béton.
Le
départ du bateau est à 9h45 au « Port de l’Arsenal ». Pour y aller, prenez la ligne cinq et
descendez à Bastille, sorti du métro, vous y êtes. Si vous ne voulez pas d’une
croisière, cela vaut la peine de parcourir les quatre à cinq km des chemins de
halage du canal Saint Martin, (je ne suis pas sûr qu’on puisse aller à pieds
dans le souterrain) d’admirer ses écluses et ses passerelles, de boire une
bière dans un des bistrots qui le bordent en écoutant parler le
« parigo ».
La
rue des martyrs est un autre village, en dessous de Pigalle (prendre le métro
Pigalle, ensuite parcourir cent mètres dans le boulevard Clichy et descendre la
rue des Martyrs) Notre amie Nadia nous avait renseigné un restaurant bio,
« le Rose Bakkery », au numéro 49. Très belle découverte. Le lieu est
d’une simplicité totale, un petit bouiboui propret, l’ambiance y est aussi
excellente, le restaurant magasin ne désemplit pas et le saumon bio, fumé,
accompagné d’œufs brouillé que Marlène a choisi et accepté de partager avec
moi, est divin. J’avais pris une assiette de légumes pas mal non plus, avec
beaucoup de graines de couges, de tournesol et de pignons, mais pas aussi bonne
que celle que nous servons à Como en casa. Nous avons fait connaissance avec un
des patrons et avons oublié de lui demander où il se procurait ce saumon. La
rue est remplie de commerces magnifiques, de caves à vin très bien achalandés,
de boulangeries artisanales dont une, bio, où les pains et les tartes sont
extraordinaires. Croyez-moi j’ai rarement vu d’aussi belles marchandises.
Nous
nous y sommes promenés et avons ensuite traversé tout Paris à pieds, par le
jardin des tuileries, en passant « curioser » aux magasins Lafayette
et Printemps, d’où nous avons fuis les hordes de japonaises, pour gagner Saint
Germain et nous offrir le luxe d’un verre à la brasserie les Deux Magots.
Le
dernier jour, c’était dimanche, nous étions le 25 septembre et le thermomètre
affichait 25 degrés. Mon téléphone, lui,
affichait bon anniversaire et notre flânerie était paradisiaque. Merci à
vous pour vos messages. Marlène tenait à marquer le coup et m’a offert un
plateau d’huîtres dans un bar spécialisé de Saint Germain. Elles n’étaient pas
bonnes, elles étaient succulentes. Je n’ai pris que des numéros trois et les
perles blanches (d’Aquitaine je crois) charnues, fraîches, servies sur un
plateau refroidi à l’azote, qui fumait en son milieu. On nous a fait payer cher le verre de Chablis
mais, que voulez-vous, on n’a pas tous les jours soixante ans.
Les
lieux « classiques » de Paris sont devenus impossibles à fréquenter,
ce sont des milliers et des milliers de touristes qui s’y pressent et font la
file. Heureusement, nous avions flâné de bonne heure le long de la Seine, à
visiter les bouquinistes et y acheter un virux recueil d’Eluard et la première
édition de monsieur Vertigo.
Nous
sommes descendus du train venant de Paris et Bruxelles à vingt heures aux Guillemin.
Yoann, le fils de Marlène, avait dressé une belle table, le champagne était au
frais et nous avons frappé le gewurztraminer vendange tardive, acheté à Paris. Marlène
avait préparé un morceau de saumon fumé avant notre départ. Elle avait acheté
un filet de 400gr, elle l’a saupoudré très généreusement d’aneth et mis entre
deux couches de deux cm de gros sel, couvert d’une planchette avec des poids
dessus et demandé à Yoann de l’enlever du sel deux jours plus tard. Il était
délicieux.
Yoann
ne s’est pas contenté d’enlever le saumon du sel. Il a dépouillé une belle
plante de basilic de ses feuilles, a mis celles-ci dans l’hachoir à légumes,
avec un morceau de 75 gr de parmesan, plaque d’or, et une cuillère à soupe de
pignons arrosant le tout de trois ou quatre cuillères d’huile d’olive. Les
pennes furent cuites al dente, le pesto, non cuit, versé dessus et bien
mélangé. Yoann a bien insisté pour que l’on sache qu’il ne mettait de sel ni
dans la cuisson ni dans le pesto, qu’il fallait l’ajouter dans son assiette, un
sel rouge de l’Himalaya, que cela relèverait le goût. J’ai mangé en fermant les
yeux pour profiter du plaisir et ai pensé « quel bel anniversaire ».