C’est lorsque j’ai appris que Fabrice était gravement malade
que j’ai décidé de faire une pause dans mes chroniques et de me lancer dans l’écriture
d’un livre où il serait beaucoup question de lui. Deux mois plus tard, Fabrice
nous a déjà quittés, victime d’un cancer qui les dernières semaines l’a
foudroyé. On m’a proposé de prendre la parole, avec d’autres à l’ultime
cérémonie précédente l’incinération. Voici le texte :
Quatre mots me viennent pour parler de toi Fabrice
Le premier est le mot
frère
Tu étais non seulement mon meilleur et mon plus vieil ami
(nous nous sommes fréquentés cinquante et une années) mais tu étais mon frère.
Nous avons eu le même parcours, nous avons pour ainsi dire grandi (au moins
culturellement) ensemble. Nous avons acquis et cultivé les mêmes valeurs. Nous
ne devions pas beaucoup parler pour nous comprendre.
Entre frères, on n’est pas toujours d’accord et on se
dispute pour un rien. Heureusement pour nous, nous nous sommes toujours
retrouvés
Quand on s’est retrouvé en novembre je t’avais envoyé un SMS
disant :
« Tu m’as manqué, on est cons parfois… » Tu
m’avais répondu « t’as raison, on est vraiment cons. »
Tu as été non seulement mon frère mais aussi mon grand frère.
Tu as été celui qui m’a sans doute le plus et mieux conseillé dans ma vie
personnelle. Tu m’as hébergé longtemps
quand j’en avais besoin. Ce fut une
belle période qui m’a permis alors de rencontrer Eliane devenue elle aussi une sœur.
Le deuxième mot
c’est le mot formidable
Tu l’employais souvent et à bon escient. Marlène me disait
samedi « moi j’ai perdu mon amie Liselotte. Toi tu as perdu Fabrice ».
Liselotte et toi aviez deux points
communs : l’année de naissance et l’emploi de ce mot : formidable. Tu
m’avais envoyé ce message à propos de l’immunothérapie dans laquelle tu avais
beaucoup d’espoir - et moi aussi - et tu avais peur que cela ne se puisse se
faire. Quand on t’a dit OK tu m’as écrit « Je commence l’immunothérapie ce
vendredi matin : C’est formidable. »
Puis, deux jours plus tard un autre message : « C’est commencé, plein d’espoir dans ce goutte
à goutte. »
Quand tu as appris que cela n’avait rien donné, moi j’étais
cassé, tu l’as vu et tu m’as dit : « Ne t’inquiètes pas,
j’assume ». Sous-entendu j’assumerai ce qui arrivera.
Saches que dans ton combat contre la maladie, nous t’avons tous
admiré. Tu as été formidable Fabrice.
Le troisième mot
c’est ta constance
Je pourrais reprendre le titre de John Le Carré « la constance du jardinier »
Les jardiniers d’aujourd’hui ont compris avec la perma
culture que les plantes peuvent se débrouiller entre elles. Pas besoin
d’intrants qui affaibliraient leur défense naturelle. Elles se nourrissent les
unes les autres, se défendent ensemble, communiquent et
s’entraident. Toi tu étais le jardinier de la conscience humaine, de l’action
et de la solidarité. On oublie souvent de parler de ce deuxième pilier de la
méthode de la JOC. Il y a le « voir, Juger, agir » bien sûr mais il y
a aussi et surtout « entre eux, par eux pour eux ». Chez toi ce
second pilier était tellement ancré que ça en était une seconde nature. Tu
savais que ce qui était à faire était de permettre aux gens d’être les acteurs
de leur propre libération. Pas besoin d’intrants qui leur aurait enlevé leur
autonomie. Il s’agissait de faire des gens les acteurs de leur histoire.
Et justement le
quatrième mot qui me trottait en tête c’est le mot Histoire, avec un grand H
C’est souvent quand la mort est proche qu’on se demande quel
est le sens de ce que nous avons fait et de ce que nous avons été. Des millions
d’hommes et de femmes ont vécu avant nous et vivrons après nous. Nous avons à
apporter, modestement, tout petitement, notre pierre. Minuscule mais tellement
importante. Aussi je relis un petit texte que je t’ai lu il y a à peine
quelques semaines, quand tu m’avais dit que tu ne pouvais plus te concentrer.
Il est tiré du livre Sapiens. Son auteur est : Yuval Noah Harari. Albert Jacquard
avait écrit sensiblement la même chose dans son livre : La légende de la
Vie.
« Il y a environ
13.5 milliards d’années, la matière, l’énergie, le temps et l’espace
apparaissaient à l’occasion du Big Bang. L’histoire de ces traits fondamentaux
de notre univers est ce qu’on appelle la physique
Environ 300 000 ans
après leur apparition, la matière et l’énergie commencèrent à se fondre en
structures complexes, appelées atomes, lesquels se combinèrent ensuite en
molécules. L’histoire des atomes, des molécules et leur interactions est ce
qu’on appelle la chimie.
Voici 3.8 milliards
d’années, sur la planète terre, certaines molécules s’associèrent en structures
particulièrement grandes et compliquées : les organismes. L’histoire des
organismes est ce qu’on appelle la biologie.
Voici 70 000 ans à peine,
des organismes appartenant à l’espèce Homo Sapiens commencèrent à former des
structures encore plus élaborées. On les appelle les Cultures.
Le développement
ultérieur de ces cultures humaines est ce qu’on appelle L’Histoire.
L’Histoire des homes a,
de tous temps, été traversée par le même défi culturel : Comment vivre
ensemble ? »
Dans ce vivre ensemble tu as joué un rôle énorme
Fabrice : lutter contre l’injustice, obtenir des règles et des droits pour
les travailleurs. Le syndicalisme que tu as pratiqué est un formidable
régulateur du vivre ensemble.
Tu as fait le job Fabrice. Tu as fait plus que ta part.
Merci Fabrice
Marlène dit que ton corps en avait assez et que sa mort
semble nous dire : J’ai fait, maintenant à d’autres de continuer.
C’est pour cela que le mot publié par ta fille Carina sur FB
prend tout son sens. Elle a écrit : dors bien papa. Elle a raison : reposes en paix Fabrice.