Voici comment cela s’est passé. Le
spécialiste m’avait été conseillé par une amie de Marlène. C’était semble-t-il
le meilleur spécialiste de CHU de Liège. L’amie de Marlène m’avait dit qu’il
était d’un abord froid et c’était le cas, pas un sourire, juste bonjour asseyez-vous.
Avez-vous des antécédents familiaux ? Avez-vous eu un accident qui
pourrait expliquer votre problème ? Avez-vous travaillé dans le bruit.
Fréquenté assidument des concerts ? Non à toutes les questions avais-je
répondu.
Bien, installez-vous, je vais d’abord
enlever les bouchons de vos oreilles, ce qu’il fit sans aucun ménagement, en me faisant mal avec son jet d’eau
et en me laissant la chemise et le pantalon trempé comme si je sortais de la
douche. Maintenant, vous allez passer dans la salle d’à côté pour les tests.
C’est une jeune femme qui vint me
faire passer les tests. Pas plus sympa et tout aussi froide que lui. Elle me
mit un casque sur les oreilles avant de m’expliquer qu’elle allait m’envoyer
des sons aigus dans les écouteurs et que je devais lui faire signe dès que je
les entendais. Je dus évidemment retirer mon casque pour lui faire répéter ce
qu’elle venait de me dire et que je n’avais évidemment pas entendus. Quelques
secondes plus tard elle me menaça en me disant d’un ton assez agressif si je ne levais pas la main quand j’entendais
le son, elle serait obligée de continuer à l’augmenter. Je retirais de nouveau
mon casque pour qu’elle me répète ce que je n’avais pas entendu. Elle m’engueula
en me disant de ne pas retirer mon casque à tout bout de champ. Je lui dis que
si je ne levais pas la main, c’est que je n’entendais pas le son. Et ben alors
sembla-t-elle dire. Cette partie de tests dura quelques minutes et je levais la
main à chaque fois que me parvenait un son aigu dans une oreille ou l’autre.
Elle me mit ensuite le casque en travers de la tête, un côté au milieu du
front, l’autre derrière la tête avec le même objectif mais en plus je devais
dire dans quelle oreille le son me parvenait le mieux. J’eus beau me concentrer,
je n’arrivais pas à distinguer laquelle des deux oreilles entendait le mieux.
Ma mauvaise ouïe était devenue un
véritable problème autant pour moi que pour mes proches. Marlène n’en pouvait
plus de me répéter cent fois la même chose et de devoir me les crier dans les
oreilles. Mes enfants et beaux enfants s’en étaient bien amusés au début mais commençaient
à la trouver saumâtre, d’autant plus que nos rapports les plus fréquents
étaient téléphoniques et que les conversations étaient de plus en plus courtes
vu que je comprenais tout de travers.
Cela avait commencé il y a déjà
quelques années. Le premier incident se déroula un début de soirée d’été. Nos
voisines, Patricia et ses deux filles étaient arrivées en courant à l’arrière
de leur maison qui communiquait avec notre terrasse, mouillées et riant. Je
riais avec elles tout en essayant de comprendre pourquoi elles étaient trempées.
Je ne compris pas leur réponse mais juste une bribe dans laquelle il y avait le
mot chine qui me fit faire un raccourci : nous passions tous les matins
devant le resto chinois de la rue Sœur de Hasque et chaque matin, un jeune
homme nettoyait la façade avec un tuyau d’arrosage. Chine, mouillées, mon
cerveau ne fit qu’un tour : ah, vous avez été au restaurant chinois !!
Sophie me répondit quelque chose en souriant, que je ne compris pas et moi d’ajouter :
ben oui, on vous a arrosée. Ce dialogue de sourd (c’est le cas de le dire)dura
quelques minutes, Marlène avait beau dire, c’est pas ça Mario, je n’y prêtais
aucune attention, jusqu’à ce que Stéphanie, l’aînée me dise assez fort et en
articulant chaque syllabe : on-n’a-pas-été- au-res-tau-rant-chi-nois,
on-a-été-à-la-salle-de-gym !! Je n’en revenais pas, comment avais-je pu
déraper à ce point, mais à l’époque je ne mis pas cela sur le compte de la
surdité mais sur une simple erreur d’interprétation
Le deuxième incident survint
quelques mois plus tard dans le magasin de tissus « Le Chien Vert »
quand il était encore à la Rue de la Madeleine. Vous voyez donc que cela fait
quelques années. Si vous connaissiez ce magnifique magasin, vous savez qu’au
premier étage, l’escalier qui conduisait au second avait été tout simplement
enlevé. Il n’y avait tout simplement plus moyen d’accéder au second étage, du
moins à l’intérieur des locaux accessibles au client. J’étais fasciné par cette
porte que l’on voyait là-haut et qui était devenue inaccessible. Pendant que
Marlène testait les tissus du bout des doigts, j’admirais les lieux et me
demandais que pouvait-il se passer dans ce grenier ? Sans doute est-ce
devenu le royaume des rats et des souris, pensais-je. Il faisait très chaud ce
jour-là. Marlène ayant trouvé ce qu’elle cherchait, nous nous étions retrouvés
dans la petite véranda du premier autour de la table de coupe. A une question
que Marlène lui posait et que je n’avais pas comprise, la vendeuse répondit en
désignant le plafond. Je saisis tout de suite de quoi il s’agissait. Ben oui,
vous entendez courir les souris, dis-je. La fille me regarda interloquée. Marlène
intervint pour me dire que ce n’était pas de cela qu’on parlait, mais je
continuais sur ma lancée. C’est normal, plus personne ne monte là-haut, il doit
y avoir des pigeons, des rats, des souris, c’est cela que vous entendez.
Marlène me prit pas le bras pour que je me tourne vers elle et me dit on ne
parle pas des souris, j’ai dit à madame qu’il faisait chaud et elle m’a dit que
c’était à cause de la véranda. Merde, me dis-je, elle ne désignait pas le
plafond en parlant mais la véranda.
Mais à l’époque, même Marlène ne
mettait pas cela tout à fait sur mon problème de surdité ou disons pas
uniquement sur mon problème de surdité mais aussi sur ma distraction ou mes
fixations. Allez savoir pourquoi, des choses comme ce type qui arrose sa façade
tous les matins ou un escalier qu’on enlève dans un local commercial peuvent m’accaparer
des heures si pas des journées entières.
Bon mais au fil des années, les
incidents se multiplièrent et avec le restaurant devinrent de plus en plus gênants.
Le sommet fut atteint à la nocturne des coteaux quand une jeune fille dut
écrire sur un bout de papier ce qu’elle essayait de me commander depuis cinq
minutes en hurlant directement dans mon oreille : CINQ BIERES !! Mon
fils aîné avait assisté à la scène et m’avait dit c’coup-là ‘pa t’es vraiment
sourd ! La gêne des clients me mettaient de plus en plus mal à l’aise, la
pitié et la compassion que manifestaient certains et surtout certaines (chez
les hommes c’étaient plutôt bienvenue au club) achevaient de m’humilier et de
me convaincre qu’il fallait faire quelque chose. Les incidents étaient trop
fréquents, j’apportais un jour une tarte au citron à un couple qui m’avait
demandé l’addition et le lendemain l’addition à un autre qui m’avait demandé
une tarte au citron.
J’avais donc pris rendez-vous chez
un ORL. Le reste de la séance de tests tourna au calvaire. La jeune femme pas
sympa du tout me reposa un casque sur les oreilles en me disant vous entendrez
des …et vous les répéterez. J’entendrai quoi ? DES MOTS, hurla-t-elle en
donnant une forme à sa bouche qui la faisait ressembler à la fois à Fernandel
et à Fabrizio Lucchini. Je répétais donc ce qu’il me semblait entendre :
Poulet. Non-c’est pas-pou-let-c’est- mu-ret. Barrière. Non- c’est-pas- bar-riè-re
c’est der-riè-re. Non, c’est pas tic-ket, c’est bi-llet, non, c’est pas vin, c’est
pain…Je sortis de là épuisé et vaincu. Je repassais devant le spécialiste. Bon,
il n’y a pas à dire, vous avez de sérieux problèmes d’audition, comment
avez-vous pu attendre si longtemps ? Parce que les gens sont gentils lui
dis-je. Il n’eut pas l’air d’avoir compris mais cela ne m’étonna pas.
J’aurai donc des appareils auditifs très
bientôt. Les plus performants qui soient et qui ne me coûteront pas si chers que
cela grâce au remboursement mutuelle. Il paraît que d’autres problèmes
viendront avec le bruit. Mais bon on verra. Au moins cela ne m’arrivera plus de
comprendre t’es con Mario alors qu’on me dit c’est bon Mario
Allei, on ferme ce vendredi 1er
novembre mais on sera ouvert samedi soir 2 novembre (pas samedi midi) Au
plaisir de vous servir (vos mails à mario.gotto@gmail.com.
CEC google group ne reçoit pas les couriels)